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Voilà donc : je me rallie à David Olivier et Yves Bonnardel sur ce point du refus de l’idée de Nature comme un ordre hiérarchique émanant d’elle-même, la Nature, ou émanant de Dieu, ordre qui imposerait une conduite et une attitude aux êtres humains (« il est naturel d’agir ainsi », « tel acte est contre-nature ; donc il faut l’éviter à tout prix »), ordre qui assignerait une place déterminée aux êtres sensibles (à la tête de la société pour les hommes blancs de classe supérieure, au foyer pour les femmes, dans le champ ou dans la mine pour l’esclave, dans l’enclos ou à l’abattoir pour les animaux). La Nature n’est pas un ordre immuable et parfait ; ce sont les hommes qui interprètent de manière intéressée la Nature pour fonder un ordre social déterminé uniquement par des consciences humaines.
Voilà donc : je me rallie à David Olivier et Yves Bonnardel sur ce point du refus de l’idée de Nature comme un ordre hiérarchique émanant d’elle-même, la Nature, ou émanant de Dieu, ordre qui imposerait une conduite et une attitude aux êtres humains (« il est naturel d’agir ainsi », « tel acte est contre-nature ; donc il faut l’éviter à tout prix »), ordre qui assignerait une place déterminée aux êtres sensibles (à la tête de la société pour les hommes blancs de classe supérieure, au foyer pour les femmes, dans le champ ou dans la mine pour l’esclave, dans l’enclos ou à l’abattoir pour les animaux). La Nature n’est pas un ordre immuable et parfait ; ce sont les hommes qui interprètent de manière intéressée la Nature pour fonder un ordre social déterminé uniquement par des consciences humaines.
Hegel voyait en la Nature l’éternel
retour du même ; mais on voit bien qu’Hegel est là un penseur
pré-darwinien qui ne voit pas l’évolution à l’œuvre dans la Nature. Et encore
cette évolution n’a elle-même pas de sens : ce n’est pas parce que l’homme
existe qu’il est la finalité de l’évolution. L’ornithorynque peut aussi bien
revendiquer être la finalité de l’évolution puisqu’il existe aujourd’hui des
ornithorynques !
Au XVIIème siècle, Baruch Spinoza disait déjà qu’il n’y a ni
bien, ni mal dans la Nature. Seule compte la sensibilité des êtres
expérimentant les choses au travers de leurs perceptions sensorielles et de
leur conscience. Ainsi
commence-t-il son Traité de la Réforme de l’Entendement : « Après que l’expérience m’eut appris que tout
ce qui arrive d’ordinaire dans la vie commune est vain et futile, ayant vu que tout ce qui était pour moi
cause ou objet de crainte n’avait en soi rien de bon ou de mauvais, mais dans
la seule mesure où mon âme en était émue, je me décidai enfin à chercher
s’il n’existait pas un bien véritable, communicable, et tel que mon âme,
rejetant tout le reste, pût être affecté par lui seul ; bien plus, s’il
n’y avait pas quelque chose dont la découverte et l’acquisition me ferait jouir
pour l’éternité d’une joie continue et souveraine [1] ».
Une chose extérieure à nous qui suscite la crainte comme la maladie, la mort,
une bête sauvage, un tyran ou un malfrat qui veut nous exploiter ou nous
torture, n’est pas mauvaise en soi, mais bien mauvaise parce que notre âme ou
notre conscience perçoit cette chose de manière négative et ressent la peur et
la douleur à son contact. L’éthique ne doit pas se guider par rapport à un
ordre abstrait d’une Nature interprétée à partir des données sensibles et les
connaissances partielles que, nous êtres humains, pouvons avoir de la Nature à
un moment donné de l’Histoire ; mais au contraire, l’éthique doit se
diriger par rapport au ressenti des êtres sensibles. Œuvrer tant que se faire
se peut à créer un bien véritable qui soit ressenti par les êtres sensibles,
qui soit communiqué à leur conscience. Œuvrer tant que se faire se peut aussi à
limiter et à soulager les souffrances que peuvent ressentir ces êtres
sensibles. Combattre l’injustice, la torture, les iniquités ou les élevages
industriels parce que cela condamne des êtres sensibles à une souffrance
inutile et monstrueuse. Voilà en quoi consiste l’éthique.
La Nature ne peut dicter les normes
de ce qui doit être ou pas. En elle, il n’y a pas de bien ou de mal dans la
Nature. Bien et mal appartiennent aux consciences. Ce sont les consciences qui
forgent les idées de bien et de mal ainsi que les idées d’ordre naturel qui
viennent cautionner et renforcer l’autorité à imposer des comportements jugés
bons et à proscrire les comportements mauvais. Ce sont également les
consciences qui créent les idées d’ordre divin ou surnaturel qui viennent
donner un sens transcendant à ce que nous vivons. Ces idées d’ordre naturel ou
d’ordre divin doivent être démasquées comme des créations de la conscience en
vue d’asseoir un pouvoir et malheureusement, souvent de nier le vécu de toutes sortes d’individu
humains comme non-humains. « Il est naturel de manger de la viande ;
donc c’est bien d’en manger. Cela va nous donner de la force… », etc. Il est
emblématique de voir que, dans la pensée d’Aristote, l’homosexualité est
considérée comme naturelle, donc tout à fait acceptable, voire plus spirituelle
que la vulgaire hétérosexualité, tandis que, dans la scolastique chrétienne qui
a repris l’idée d’ordre naturel à Aristote, l’homosexualité est considérée à la
fois comme « contre-nature », relevant donc d’une perversion de la
volonté libre de l’homme et comme quelque chose de « bestial », ce qui
renvoie donc au monde des bêtes féroces, donc de la nature déchaînée et
immorale. On voit par cet exemple que cette notion de Nature est effectivement
ambigüe, puisque selon sa conception personnelle de la Nature, on en vient à
accepter un comportement ou à le rejeter toujours au nom de la Nature. Par
ailleurs, la Nature est à la fois invoquée comme modèle moral (« il est
naturel de faire ceci ou cela ») et comme repoussoir hideux de nos
pulsions les plus anciennes et les plus inacceptables (la bestialité, la
férocité….).
Cette conception idéologique de la
Nature surimpose à la Nature toutes sortes de représentations idéales ou
idylliques qui n’ont pas nécessairement grand-chose à voir avec la Nature
véritable. Un seul exemple : cette représentation idéologique qui tend à
exclure l’homosexualité de la Nature. Les bêtes seraient instinctivement
hétérosexuelles, puisque leur sexualité serait purement reproductive. Dans
cette représentation de la Nature, l’homosexualité serait une invention
perverse des hommes qui se détournent des droits chemins de la Nature. Or les éthologues
se sont rendu compte que les comportements homosexuels existaient bel et bien
dans la Nature ! Ils ont d’abord constaté des liaisons homosexuelles chez
les pingouins, puis dans toutes sortes d’espèce. Simplement nos a priori et nos représentations
inconscientes nous empêchaient de les voir. Cela ne cadrait pas avec l’image
culturelle que l’on se faisait de « l’ordre de la Nature ».
On peut donc souscrire à cette
volonté d’Yves Bonnardel et de David Olivier d’abandonner l’idée de Nature
comme ordre moral régissant le monde. J’ai essayé de montrer que cette
entreprise était déjà en marche dans l’Histoire des idées. Bien sûr, il en
reste beaucoup de restes dans nos mentalités actuelles. Ainsi la propension de
nos contemporains à penser que l’on a toujours mangé de la viande et qu’il est
donc naturel de manger de la viande… L’inverse est également vrai dans le camp
des végétariens : un argument souvent invoqué pour soutenir le végétarisme
est de dire que l’homme n’a pas la dentition d’un carnivore. Cet argument n’est
à mes yeux recevable que s’il vient court-circuiter l’argument précédent qui
dit que l’on a toujours mangé de la viande et qu’il est donc naturel de manger
de la viande… Mais en soi, le fait que notre dentition ne soit pas celle d’un
animal carnivore ne dit rien du tout sur le fait de savoir s’il est bon ou
mauvais de manger de la viande. Après tout, à l’état naturel, les mains n’ont
pas été conçues pour manier le volant d’une voiture ou le clavier d’un
ordinateur ; pourtant nous manions ces outils et tant d’autres que les
êtres humains ont inventé au cours de l’Histoire. L’homme fait des choses qui
n’étaient prévues qu’il accomplisse. J’aurais presque envie de dire que
« c’est dans sa nature » !
Pareillement, l’argument des vegans
qui consistent à dire que le lait de vache n’est adapté que pour le veau me
laisse franchement sceptique. Seuls les hommes auraient l’étrange idée de boire
un lait qui n’est pas le leur, disent-ils. C’est faux : donnez du lait de
vache à un chat et il le lapera goulûment. L’argument a certainement une portée
dans la dimension de la santé : le lait de vache est prévu pour faire
pousser un veau de 200 kg en quelques mois. Boire trop de lait de vache n’est
donc certainement pas bon pour la santé humaine. Mais ce n’est pas un argument
éthique : on ne viole pas une loi de la Nature quand un être humain boit
du lait de vache ou mange des produits laitiers.
L’argument éthique qui doit être
rappelé est le suivant : pour produire du lait de vache à vaste échelle,
il faut séparer la maman vache de son veau (et souvent envoyer le veau à
l’abattoir). Cela crée une souffrance énorme tant dans la conscience de la
vache que du veau. L’argument éthique doit rappeler qu’il faut prendre en
considération la sensibilité de ces êtres conscients.
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