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jeudi 21 juillet 2016

Réflexions sur le monde végétal - 2ème partie



    Suite à mes deux articles tournant autour du thème de la conscience des plantes (ici et ), Sb a amené quelques objections auquel je voudrais répondre brièvement ici. Rappelons en quelques mots ma position sur le sujet : je ne pense pas que les plantes soient douées de conscience, ne possédant pas de système nerveux. Mais même si les plantes avaient par miracle une conscience, on ne pourrait pas se servir de cet argument à l'encontre des véganes et des végétariens. Les mangeurs de viande causent la perte de beaucoup plus de végétaux que les véganes : en effet, les véganes ne causent la perte que des plantes qu'il mange, tandis que pour produire de la viande, il faut engraisser toute leur vie des animaux avec des végétaux. Donc le véganisme est moins nuisible aux plantes qu'un régime carné.



    1°) Sb fait tout d'abord référence à Dôgen Zenji, le fondateur de l'école Zen Sôtô : « Si l'on pratique la Voie avec un cœur sincère en se laissant transformer avec les herbes, les arbres, les tuiles et les cailloux, on doit obtenir la voie. Car les quatre éléments et les cinq agrégats vont ensemble avec les herbes, les arbres, les tuiles et les cailloux. Ils ont la même nature, ils ont le même cœur et la même vie et ils ont le même corps et la même dynamique ». Pour Sb, cela « incite à méditer sur l'absence de frontière entre le monde minéral, végétal et humain (et animal) ». Ce passage est une extrait du Sokushin Zebutsu (« L'esprit lui-même est Bouddha »). Il y aurait beaucoup à dire autour de ce passage, beaucoup de commentaires à faire, des gloses érudites comme des paroles de sagesse. Mais brièvement, je pense que le message de Dôgen n'est pas de dire que les plantes, les plantes ou les cailloux sont doués de conscience, mais que la méditation ne peut pas faire l'impasse sur le monde phénoménal. Souvent les méditations sur l'esprit font l'impasse sur ce qui est matériel autour de nous. Mais pour reprendre le langage de la phénoménologie, la conscience est toujours conscience de quelque chose.

     Dans ses Méditations Métaphysiques, Descartes envisage l'esprit indépendamment du monde environnant. C'est la formule célébrissime : « Je pense, donc je suis ». Ce n'est qu'après avoir fondé l'existence sur le sujet pensant et l'existence de Dieu à partir du sujet pensant que Descartes envisage l'existence du monde. C'est un beau raisonnement, mais un raisonnement fallacieux. Si on veut connaître véritablement la nature de l'esprit, il faut avoir intimement conscience des objets nous environnant. Des plantes, des murs, des tuiles et des cailloux comme dit Dôgen. Ces choses et ce monde naturel résonnent subtilement en nous. Chaque phénomène de ce monde trouve un écho en nous. C'est pourquoi en méditation il ne faut se fermer au monde autour de nous. Tout est interdépendant, le corps, l'esprit, les fleurs et les cailloux. C'est pourquoi accéder à la nature de l'esprit exige de faire ce pas vers la non-dualité. Dans la nature de l'esprit, pas de dualité entre moi et l'autre, entre le sujet pensant et les objets pensés.



     2°) Sb se demande aussi : « je tiens à préciser que l'enjeu de ce questionnement n'est pas théorique. Je m'en fiche de savoir si la plante à une conscience ou pas. Ma question c'est plutôt : devons-nous, d'un point de vue bouddhiste, faire preuve de compassion et de bienveillance à l'égard des plantes, du monde végétal et minéral (comme du monde animal) ? L'enjeu est pragmatique. Je ne me situe pas non plus sur un plan moral ». Ma réponse est oui, nous devons répandre la compassion partout, en tout point de l'univers, dans la terre, dans le ciel, dans les nuages, dans les maisons, partout, donc y compris dans les plantes. Pas parce que les plantes sont douées de conscience, mais parce que les plantes abritent toutes sortes de petits animaux : on peut penser aux oiseaux qui nichent dans ou sur les arbres... Les végétaux sont aussi une nourriture pour un nombre considérable d'animaux. Et nous dépendons immanquablement des plantes et des algues pour respirer de l'oxygène à la surface de la Terre. Donc en faisant rayonner la compassion sur les plantes, cela rejaillit sur les animaux et les humains.

     Une question que l'on pourrait se poser est : la compassion et la bienveillance peuvent-elles avoir un effet positif sur la plante elle-même ? Si la plante a une conscience, oui évidemment. Mais si elle n'en a pas ? Je serais tenté de répondre par la positive. La compassion et l'amour bienveillant envoient une énergie de douceur et de vitalité au monde. En tant qu'être vivant, il est probable que les plantes soient sensibles à cette énergie et soient affectées dans leur croissance par cette énergie.









       3°) Sur la question de Descartes, Sb me reproche d'avoir dit dans mon précédent article : « Descartes et ses disciples devaient aller à l'encontre de l'intuition commune ». J'ai dit cela par rapport au fait que Descartes et les cartésiens ont nié que les animaux étaient doués de conscience. Descartes a développé l'idée de l'animal-machine pour expliquer le fait que les animaux réagissent à leur environnement, se déplacent, font des choix, agissent de telle ou telle manière, tour en niant une conscience chez eux. Or quand on observe un animal, quand on voit cette réaction émotionnelle (les frétillements de queue d'un chien et sa joie devant la nourriture par exemple), on a tout de suite l'impression que les animaux ont une conscience. Ils n'ont peut-être pas d'âme comme le dit l’Église catholique. C'est là un sujet théologique et métaphysique au-delà de notre entendement. Mais selon notre expérience, on voit les animaux réagir tant au plaisir et à la souffrance tout comme nous le faisons. La conscience des animaux apparaît comme une évidence, évidence que les cartésiens ont combattu au nom de la théorie de l'animal-machine.

      Parfois, la science combat des évidences trop vite reçues : l'idée qui semble évidente que le Soleil tourne de la Terre. Il suffit de regarder le Soleil « se lever » le matin, accomplir « son voyage » dans le ciel comme tiré par les chariots d'Hélios et « se coucher » le soir pour considérer comme évident que le Soleil tourne autour de la Terre, et pas l'inverse. La science a mis à bas « cette évidence » du géocentrisme pour imposer l'héliocentrisme. Mais dans le cas de la théorie de l'animal-machine au contraire, les neurosciences et l'éthologie tendent à confirmer l'évidence de la conscience animale.

     Par contre, quand on regarde une plante, elle ne bougent pas, ne réagit pas émotionnellement, ne fait pas de choix. L'évidence populaire serait plutôt de ne pas accorder de conscience aux plantes. On peut néanmoins avoir différentes conceptions sur le sujet. Dans l'article sur l'argument de la conscience des plantes, j'avais parlé des Achuars qui vivent en Amazonie et qui parlent aux plantes quand ils prennent de l'ayahuasca, un très puissant hallucinogène. Néanmoins, dans notre culture, l'évidence qui est finalement une chose assez relative serait plutôt de s'accorder sur la conscience des animaux et sur l'absence de conscience pour les plantes. Je dis « plutôt » parce que je n'omets pas le cas des jardiniers qui parlent à leurs plantes.


     4°) Sb fait remarquer que la conscience elle-même est difficilement localisable dans le cerveau, au contraire des fonctions spécifiques comme le langage. Pourquoi dès lors les plantes n'auraient-elles pas une conscience non-localisables aussi ? C'est un débat métaphysique important : la conscience déborde-t-elle du cerveau ? Les matérialistes purs et durs comme Jean-Pierre Changeux qui avait écrit dans les années '80 « L'homme neuronal », pense que l'esprit n'est qu'un épiphénomène du cerveau. En clair, la conscience selon Changeux est entièrement produite par le cerveau et l'activité neuronale. L'esprit se réduit dès lors aux neurones et aux interactions entre eux. C'est ce qu'on appelle le « réductionnisme ». D'autres pensent que la conscience a un aspect immatériel qui existe indépendamment du cerveau. Pour ma part, c'est que je pense. La nature de l'esprit échappe au fonctionnement matériel du cerveau. Pour autant, tous nos actes conscients se produisent en dépendance du cerveau et du système nerveux. Si je vois une pomme devant moi, il faut l’œil pour voir, il faut que l'information puisse être traitée par le cerveau pour que je puisse prendre conscience de l'objet pomme. La conscience elle-même est immatérielle, mais j'ai besoin du cerveau et des facultés sensorielles pour voir, pour entendre, pour sentir, pour goûter, pour toucher et même pour penser. La nature de l'esprit toute seule ne peut pas produire de vision, d'audition, d'olfaction, de goût, de toucher, et même de pensée. Le système nerveux et le cerveau sont l'interface nécessaire entre le monde et l'esprit.

    C'est là où la conscience des plantes me semble peu crédible. À quoi servirait une conscience des plantes sans possibilité d'interagir avec le monde ? Une conscience enfermée inéluctablement dans la plante ? Peut-être y a-t-il d'autres interfaces que le système nerveux ? On ne peut pas écarter absolument cette hypothèse, sauf à vouloir imposer une vision dogmatique du monde. Ce n'est pas mon cas, mais la conscience des plantes m'apparaît pour autant une hypothèse extrêmement peu probable.




      5°) En conclusion, je ne crois pas que les plantes ont une conscience. Mais pour autant, il me semble qu'il y a dans le monde végétal une complexité et une diversité beaucoup plus étendue que dans le monde animal. On devrait faire preuve de plus de curiosité à l'égard de ce monde végétal. Sb cite ainsi les travaux de Francis Hallé sur les arbres, que d'une branche à l'autre, il peut y avoir des codes génétiques et qu'on devrait en conséquence considérer les arbres comme des colonies avec un intérêt mutuel mis en commun dans la figure de l'arbre. C'est en soi tout à fait fascinant. Je me rappelle d'un autre commentaire de Francis Hallé où il expliquait que 80% de la masse physique d'un arbre provient en fait du ciel, du CO2 qu'il absorbe et transforme par la photosynthèse. C'est là aussi quelque chose de très étonnant. Ce n'est pas seulement le monde des plantes, mais aussi celui des champignons qui est fascinant. Je renvoie notamment aux vidéos de Paul Stamets sur le sujet.









Voir les deux articles précédents : 





La conférence TedX de Paul Stamets : 6 manières de changer le monde avec les champignons





Voir tous les articles et les essais autour de la philosophie bouddhique  du "Reflet de la Lune" ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.


14 commentaires:

  1. Merci pour la réponse.

    "C'est là où la conscience des plantes me semble peu crédible. À quoi servirait une conscience des plantes sans possibilité d'interagir avec le monde ?"

    Mais mais la plante interagit avec le monde... prenons cette conférence "L'intelligence animale et végétale" avec Boris Cyrulnik et Jean-Marie Pelt
    https://www.youtube.com/watch?v=0Cj0eD2hQzY

    Les orchidées fabriquent des leurres, c'est à dire des pétales qui ressemblent à des fausses guêpes dans le but de les attirer pour qu'elles transportent le pollen à d'autres orchidées. La conférence ne répond pas à la question du comment la plante a fait pour imiter les couleurs les formes et la texture qui arrivent à duper la guêpe.

    Si on écarte l'idée d'un dieu créateur qui aurait pensé la chose on est bien obligé d'imaginer que c'est la plante elle-même qui a inventé ce stratagème au terme de nombreux essais avec des réussites et des échecs. Boris Cyrulnik dit que les leurres sont plus efficaces que les femelles pour attirer les mâles et que certaines plantes ont mêmes des orifices avec lesquels les insectes copulent. C'est dire à quels point le frontière entre le monde animal et végétal est ténue.

    Je ne pense que la plante a une conscience.
    Dogen ne dit pas non plus que les plantes ont une conscience et ce n'est pas ce que j'essayais de lui faire dire. Ce qui est certain c'est que pour Dogen les plantes ont un cœur (les astres aussi) "shin" en japonais... et ce cœur est insaisissable.

    Pour le reste nous sommes d'accord.





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  2. Dans le cas que développe Jean-Marie Pelt dans cette vidéo, il ne s'agit pas du tout d'une intelligence individuelle qui pousserait l'orchidée à se camoufler comme un soldat qui aurait l'idée d'attacher des branchages tout autour de son corps pour passer inaperçu dans la forêt et ne pas se faire tirer dessus par l'ennemi. Il s'agit d'une stratégie développée au cours de l'évolution de l'espèce. Or cette stratégie de l'évolution ne nécessite aucun stratège. L'orchidée n'a pas elle-même un plan conçu par sa petite intelligence de se camoufler.
    J'avais parlé plus en détail de cette vidéo dans la 3ème partie des Mauvaises Justifications : http://lerefletdelalune.blogspot.be/2016/07/les-mauvaises-justifications-3eme-partie.html

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  3. Oups désolé j'avais raté la dernière partie de ton argumentation. Oui oui pas d'intelligence individuelle ni de conscience individuelle. Mais la conscience et l'intelligence elle-même est également le fruit de l'évolution de notre espèce. Je te mets au défi, seul dans une forêt, de construire un ordinateur. Il me semble que les bouddhistes disent que la méditation permet de s'harmoniser avec la nature et que notre souffrance est lié a notre coupure d'avec celle-ci. Si les bouddhistes se retrouvent dans des monastères à faire tous les mêmes gestes, avec les mêmes vêtements et vivent au même rythme, c'est pour gommer les aspérités individuelles comme des galets sur une plage.

    Notre point de désaccord se situe sur la question soit d'une différence de nature entre l'homme et le végétal soit une différence de degré et je m'inscris dans la tradition qui dit qu'il n'y a qu'une différence de degrés et non de nature. Pareil pour l'animal.

    En relisant Descartes, je m'aperçois que tu le caricatures:
    Descartes écrit :

    " je ne leur ai jamais dénié ce que vulgairement on appelle vie, âme corporelle et sens organique." Il leur déni une âme immatérielle mais pas une âme corporelle.
    " Je parle de la pensée, non de la vie, ou du sentiment, écrit-il. Car je n'ôte la vie à aucun animal, ne la faisant constituer que dans la chaleur du cœur. Je ne leur refuse pas même le sentiment autant qu'il dépend des organes du cœur."

    "Cependant, quoique je regarde comme une chose démontrée qu'on ne saurait prouver qu'il y ait des pensées dans les bêtes, je ne crois pas qu'on puisse démontrer que le contraire ne soit pas, car l'esprit humain ne peut pénétrer dans leur cœur.»


    Si pour Descartes les animaux sont des machines elles sont construites par Dieu et sont d'une infinie complexité. Ce que dénie Descartes ce n'est pas la conscience mais la raison :
    "Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu'elles n'en ont point du tout."

    La preuve qu'il donne c'est qu'un homme peut faire un discours qui témoigne de sa pensée et pas un animal (ni un robot). L'évidence est bien de son côté.

    Le mot conscience n'apparait quasiment pas chez Descartes et je ne pense pas qu'il lui donne le même sens que nous en tous cas pas un sens moral. ("Voir Natalie Depraz, La conscience. Approches croisées, des classiques aux sciences cognitives ch.1, § 1.3, où elle recense les (très rares) occurrences chez Descartes des termes conscientia, conscius esse, et conscience en français ; elle conclut que [chez Descartes] « on a moins affaire à une philosophie de la conscience qu'à une philosophie de la vérité certaine et du fondement (…) ».

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  4. et l'argument de Descartes reste d'actualité puisque c'est l'argument clef d'Alain Prochiantz lorsqu'il dit:

    "Ce sont toujours les humains qui écrivent sur les chimpanzés et pas l'inverse."
    https://www.canal-u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/y_a_t_il_une_barriere_entre_l_homme_et_l_animal.1483

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  5. ahaha la connexion entre descartes et Prochiantz est moins futile que je ne l'imaginais : "Machine-esprit" :

    "Il n'y a que des individus dans la nature. Mais qu'est-ce qu'un individu ? Le sens de ce terme est-il le même pour tous : bactéries, plantes, oiseaux, souris, êtres humains ? La réponse, selon Alain Prochiantz, réside dans l'étude du développement, dans les gènes architectes qui tracent le plan du corps et nous éclairent sur l'évolution des espèces. Elle se trouve aussi dans l'histoire, toujours singulière, de tout individu.Mettant en perspective les données les plus récentes de sa discipline, il suggère que, par la grâce de quelques mutations et l'aventure évolutive de son cortex, l'Homme est comme sorti de la nature"

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  6. Sur Descartes effectivement, son propos est plus de nier la Raison chez les animaux que la conscience proprement dite. Néanmoins, sa métaphore de l'animal comme machine ou automate laisse peu de place à la conscience. Si on considère l'animal comme un automate certes ingénieux puisque conçu par Dieu, mais automate quand même, il n'y a pas à postuler une Raison derrière les comportements animaux, ni de conscience d'ailleurs, tout comme un automate peut jouer de la musique, mais sans savoir ce qu'il fait et sans demander si c'est beau et si ça vaut la peine d'être joué... En outre, les cartésiens eux ont ouvertement parlé du fait que les animaux sont des êtres dépourvus de conscience. Nicolas de Malebranche disait en frappant violemment son chien : « ça crie, mais ça ne sent pas pas ».

    Quant à Prochiantz qui dit : « Ce sont toujours les humains qui écrivent sur les chimpanzés et pas l'inverse », je ne suis pas certain que cela soit la preuve que les animaux n'ont aucune raison. Un enfant de quatre ou cinq ans n'est pas plus capable d'écrire un traité sur les chimpanzés. Prochiantz ne fait que soulever une évidence qui est de dire que les animaux ont moins d'intelligence que les humains. Et le fait d'avoir une intelligence supérieure n'est pas une justification pour tuer et exploiter les animaux d'intelligence moindre (voir mon article sur la 1ère justification : http://lerefletdelalune.blogspot.be/2016/03/les-mauvaises-justifications-1ere-partie.html).

    Je ne suis pas certain que l'homme soit « sorti » du monde naturel, qu'il soit un « animal dénaturé ». Il s'est passé un phénomène en soi absolument fascinant d'évolution des capacités mentales au cours de millions d'années que les spécialistes du neuro-évolutionnisme ont décrit s'être produit du fait de deux facteurs essentiels : 1°) la fabrication des outils, 2°) le développement de la communication et de l'empathie. Cela a permis l'émergence de société de plus en plus complexe avec une emprise de plus en plus grande sur la Nature. Mais malgré ce pouvoir grandissant sur la Nature, nous ne sommes pas moins des êtres entièrement naturels, même et y compris quand nous, les hommes, essayons de s'affranchir des contraintes de la Nature. (Voir notamment à ce sujet la conférence de Jean Decety : https://www.canal-u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/les_fondements_naturels_de_la_sympathie.1250)

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  7. Je suis bien d'accord sur le le fait d'avoir une intelligence supérieure n'est pas une justification pour tuer et exploiter les animaux d'intelligence moindre... mais il en va de même pour le monde végétal.

    Je ne suis ni du côté de Prochiantz ni de celui de Descartes qui pensent une discontinuité fondamentale entre l'homme et le reste de la nature.
    Mais se servir de la conscience comme critère pour introduire une discontinuité entre le monde animal (et humain) d'avec le végétal ne me semble pas plus pertinent comme si nous pourrions alors tuer et exploiter le monde végétal à défaut des animaux. Je maintiens néanmoins que ces choses volontairement colorés quand ils sont murs qu'on appelle fruits et légumes sont fait pour être mangés par les animaux et les humains.

    De même l'indien qui ne tue qu'un seul bison pour nourrir toute sa tribu est davantage en harmonie avec la nature que le cowboy qui tue depuis le train un maximum de bisons pour jouer sans en manger aucun.

    Là où je veux en venir c'est que l'on peut faire passer les lignes de partage à différents endroits et faire varier les critères à l'infini.

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  8. J'aimerais revenir à Dogen et à la manière dont il invite à réfléchir à cette question de la frontière.

    "Réféchissez pour l'instant s'il y a ou non des herbes, des arbres et des forêts dans l'univers de l'inanimé, et si ce dernier communique ou non avec l'univers de l'animé. Vos études seront encore incomplètes tant que vous prendrez l'inanimé pour les herbes, les arbres, les tuiles et les caillou. Elles resteront encore incomplètes tant que vous prendrez les herbes, les arbres, les tuiles et les cailloux pour l'inanimé"(...) "Maintenant, même si, admettons-le, les herbes, les arbres etc tels qu'ils sont perçus par les humains simulent l'inanimé, ceux-là mêmes échappent à l'entendement humain"

    Dogen ne dit pas que les arbres, les herbes ont un esprit ou une conscience mais il ne dit pas non plus le contraire. Il dit que ça échappe à l'entendement humain, mais qu'il faut pourtant y réfléchir.

    "Parmi les cent herbes et les dix mille arbres qui se développent au sein du vent, du feu, etc. Il y en a qui devraient être étudiés en tant qu'animé, et il y en a qui ne pourraient être considérés en tant qu'inanimé. Il y a des herbes et des arbres qui ressemblent aux humains et aux animaux. Vous n'avez donc pas encore clarifié quel est l'animé, ni quel est l'inanimé"

    Dans le glossaire Animé/inanimé (ujô/mujô) la traductrice écrit "ujô peut aussi être traduit par "les être vivants, les êtres sensibles, les êtres munis de sentiments et d'émotions" tels que les dieux, les hommes, les animaux. Le terme "mujô" peut être traduit par les êtres non sensibles dépourvus de sentiments et d'émotions tels que les montagnes, les rivières, les plantes, les cailloux". C'est donc bien sur cette ligne de partage que Dogen invite à méditer.

    Évidemment, il y a parfois une symbolique derrière la liste que fait Dogen... quand il dit les murs, tuiles et cailloux, il fait référence au mur devant lequel Bodhidarma méditait, la tuile fait référence au polissage de la tuile pour devenir mirroir et les cailloux font références au son du caillou sur un bambou qui provoqua l'éveil d'un moine.

    Je ne dirais pas que "Souvent les méditations sur l'esprit font l'impasse sur ce qui est matériel autour de nous. Mais pour reprendre le langage de la phénoménologie, la conscience est toujours conscience de quelque chose."

    Je dirais qu'en faisant l'expérience de la vacuité qui prouve bien que toute conscience n'est pas toujours conscience de quelque chose que l'on peut ressentir ce qu'est être une pierre ou être un arbre qui eux-même ne sont pas conscience de quelque chose.

    Du moins c'est comme çà que j'interprète l'interprétation que fait Dogen d'une parole de Bodhidarma lorsqu'il dit :

    "Le premier patriarche chinois (Bodhidharma) dit : Chaque cœur est comme du bois et de la pierre"

    Dogen commente ainsi

    "C'est par la force de ce cœur de bois et de ce cœur de pierre que se réalisent comme présence la pensée et la non pensée de ce présent"

    Où l'on voit bien que la question de l'éveil est intimement lié à celle de l'animé et de l'inanimé.

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  9. Conscience ou pas, sensibilité ou pas, de deux maux, je choisis le moindre et en l'occurrence, à moins de ne pas m'alimenter, je mange des végétaux (et cela, de manière moindre que n'importe quel carnophage) - sauf à considérer que la souffrance des végétaux serait pire que celle du monde animal. Même si l'on considère les végétaux comme des êtres sensibles (je pense que le terme "être" est impropre à cet égard et pour ma part je préfère parler de "vivant sensitif" plutôt que d'être sensible concernant les végétaux), placer la barrière de la consommation pour se nourrir entre animaux et végétaux est tout de même incommensurablement plus intégrant relativement à l'ensemble du vivant, respectueux et surtout moins nuisible que de placer cette frontière entre humains et tout le reste (ce qui est incroyablement anthropocentrique). Si je veux aller plus "loin", je me nourris de fruits tombés de l'arbre, c'est encore un possible mais cela pose d'autres questions d'équilibre nutritif et de mode de vie que le mode de vie vegan, facilement accessible, ne pose pas.

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    1. Oui oui entre l'anthropocentrisme et le zoocentrisme il y a un progrès indéniable. A mon avis, La question la plus pertinente est moins la question du régime alimentaire que la manière dont on traite la nature (animaux, végétaux et minéraux)

      Quand on utilise de lourd tracteur on tue les insectes qui sont dans la terre en la tassant et le vin est de moins bonne qualité. Certains vignerons réutilise des chevaux ce qui est une bonne chose s'ils sont bien traités.

      Œuvré pour la cause animale est une cause juste mais rien n'empêche d'élargir à l'ensemble du vivant... et peu importe les mots qu'on utilise. Les mots sont des outils... certains sont mieux adaptés que d'autres mais c'est leur usage qui leur donne leur sens.

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    2. Je suis aussi de ceux qui tendent à élargir la "conscience", ou des formes de conscience, à l'ensemble du vivant mais j'insiste sur le fait que je reconnais malgré tout des différences de degré dans le vivant (je ne suis pas un relativiste absolu mais un relativiste relativiste si vous voyez ce que j'entends par là). On m'objectera sans doute, on m'a objecté ̄à vrai dire, une vision spiritualiste quand j'évoque la souffrance des végétaux et davantage encore celle des pierres qui sont hors vivant (pour ces dernières, j'admets que cela relève d'une forme d'animisme encore qu'il faudrait vérifier si l'on ne pourrait pas mesurer une forme de "résistance" comme on peut le faire pour les végétaux, ne me demandez pas comment, je ne suis pas assez compétent en ce domaine ; mais, bon, je suppose que ce ne doit pas être le cas).
      Je postule malgré tout un saut qualitatif en matière de conscience (je ne parle pas de conscience de soi d'ailleurs mais de capacité à ressentir et d'éprouver par le truchement d'une conscience) du végétal à l'animal si tant est que le concept conscience soit applicable aux végétaux (cf. le dernier article en date sur ce blog).
      Néanmoins, je ne suis pas sûr non plus que l'absence de ce qu'on appelle conscience soit garante d'une absence de souffrance. Si on peut difficilement postuler une conscience chez un végétal, comme je le précisais, cela ne garantit pas qu'aucune souffrance ne soit effective soit que la conscience (serait-elle le propre de l'animalité ?) n'est pas un critère pertinent pour le garantir soit qu'une autre forme d' "être" au monde (autre que la conscience j'entends) existe chez le végétal. Enfin, ce ne sont que des spéculations, en tous cas des interrogations, de ma part, et je ne m'en servirai jamais pour mettre sur le même plan souffrance du monde animal et souffrance du monde végétal car si une chose est sûre à l'heure actuelle, c'est bien la capacité d'éprouver chez les animaux quels qu'ils soient et donc leur capacité à souffrir (en général attribuée à leur système nerveux plus ou moins complexe et à leur conscience qui l'éprouve)...

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    3. suite

      Or, trop souvent, les carnistes font appel, dans un relativisme opportuniste (car, au fond, la souffrance des végétaux ne leur importe guère), au pseudo-argument (de leur part en tous cas) de la souffrance végétale (le fameux cri de la carotte). C'est aussi pour cela que l'argument de la souffrance des végétaux est à manier avec précaution (comme l'a illustré Insolente Veggie par un dessin de lapin ou de cochon, je ne sais plus, à qui elle fait dire "Alors puisqu'elle souffre [la carotte], alors moi, je ne souffre pas" où on le voit se faire charcuter).
      Enfin bref, on peut aussi faire preuve d'un certain pragmatisme et, comme je le disais, à moins de renoncer à se nourrir, on peut raisonnablement et facilement placer la barrière alimentaire entre le végétal et l'animal. Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas poursuivre les études sur le ressenti végétal qui, sur le plan scientifique ou de la connaissance du monde, est particulièrement juste mais qu'on va se heurter à un moment ou à un autre à la limite du principe de la vie même (propre au Samsara, ajouterais-je en tant que pratiquant engagé dans le Dharma) qui est de s'alimenter (à moins de parvenir à synthétiser toute alimentation). En l'occurrence je serais néanmoins fort surpris qu'on aboutisse à un résultat qui affirme une souffrance de premier ordre chez les végétaux, en tous cas, plus intense que chez les animaux (à quoi bon avoir développé un système nerveux sinon ? Souffrance et ressenti conscient me semble tout de même aller de paire pour la simple raison d'un utilitarisme dédié à la survie de l'individu ; à ce sujet, on ne peut guère parler d'individu chez le végétal, du moins, dans bien des cas, on ne sait pas vraiment où commence et où s'arrête un arbre du simple fait qu'il fasse des rejets par exemple ; le rejet constitue-t-il un nouvel arbre ou non ? ; le mode de vie végétal est en tous cas singulièrement différent de celui des animaux, non moins intéressant en soi mais plus délicat à analyser en terme d'être et de souffrance).

      Quant aux insectes et autres petits animaux détruits au cours des moissons et même au cours d'une simple marche dans l'herbe, j'en suis pour ma part bien conscient, c'est d'ailleurs une des raisons qui, du moins, je souhaite que cela soit le cas, me gardent de m'enorgueillir de mon véganisme, qui n'est finalement que le minimum que je puisse faire pour nuire moins. Néanmoins, il est également clair que le mode de vie végane engendre une moindre culture végétale et donc de souffrances et morts animales que le mode de vie carniste (puisqu'il nécessite beaucoup moins de culture de végétaux que ce dernier qui consiste à engraisser les animaux d'élevage au moyen de quantité de végétaux).

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    4. Oui. merci d'exprimer avec vos propres mots ce que j'essayais moi-même de dire, comme vous, davantage sur le mode interrogatif que sur le mode affirmatif.

      C'est encore chez Nietzsche que l'on trouve l'idée que la conscience n'est qu'une petite raison par rapport au corps qui est une grande raison. On peut voir la conscience comme un outil supplémentaire qui s'est développé plus que nécessaire pour la survie de l'espèce. C'est bien parce que nous devons faire avec que nous nous posons tant de cas de conscience. Les animaux et plus encore les végétaux ne se posent pas tant de question. Mon propos est de dire qu'on ne peut poser une réalité aussi complexe uniquement sous la forme d'une alternative là où il semble y avoir des degrés et du progrès possible de renaissance en renaissance. Pour Dogen tous les êtres vivant ont la nature de Bouddha même si le plus souvent c'est de manière négative et cela vaut pour la pierre :
      "C'est justement ce il n'y a pas qui doit un jour fondre la pierre"

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  10. Bonjour, j'ai répondu par rapport au critère de la conscience dans mon article "La question de la conscience" : http://lerefletdelalune.blogspot.be/2016/07/la-question-de-la-conscience.html

    Pour la question du rapport au monde naturel et à propos de Dôgen, je répondrai plus tard !

    Une très bonne journée !

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