Véganisme
et nutrition
Je
voudrais réagir à une interview dans la Libre Belgique du 19 et 20
août 2017 du nutritionniste Serge Pieters, intitulée : « Le
véganisme porte un risque de carences alimentaires ». Les
deux journalistes qui ont interviewé ce nutritionniste, Dorian de
Meeüs et Jonas Legge posent d'emblée une question : « Refuser
de manger de la viande et du boire du lait, est-ce dangereux pour la
santé ? ». Et puis quelques questions complètement
orientées : « Quels sont les risques liés au
véganisme ? Les véganes ont-ils accès à une grande diversité
de nourriture ? Un enfant peut-il en mourir ? »
Vive l'objectivité dans le journalisme ! Inutile de ménager le
suspense : tout l'article est une succession de demi-vérités
associées à de franches contre-vérités pour renforcer la peur à
l'égard du régime végane. Essayons de passer en revue tous ces
propos douteux et de leur opposer un argumentaire sérieux. C'est
important de le faire car la tendance lourde du moment est de tenter
de disqualifier le véganisme sur cette base de la santé, puisqu'il
apparaît clairement que les élevages industriels et les abattoirs
font sur le plan éthique quelque chose de mal. Évidemment, c'est
une farce sordide quand on connaît tous les problèmes de santé
liés à la consommation de la viande.
Je
précise enfin que je ne suis pas nutritionniste. C'est pourquoi mes
propos dérivent directement de conférences de nutritionnistes et de
pages internet consacrées à la nutrition végane, pages dotées
d'une bibliographie scientifique. Je ne me permettrais pas d'inventer
mes propres théories sur le sujet. On trouvera les liens vers ces
articles et ces vidéos en bas de mon texte. J'encourage quiconque
s'intéresse au sujet à aller regarder en détail ces articles et
ces vidéos, car ils sont produits par des gens beaucoup plus
compétents que moi sur le sujet. Ce présent article n'est jamais
qu'un résumé de ces articles et de ces vidéos.
*****
Serge
Pieters commence son interview anti-végane avec le thème très
classiques des « carences ». Première affirmation où il
mélange allégrement le vrai et le faux : « La
carence qui va arriver le plus rapidement est celle en vitamines B12
qui sont généralement contenues dans les produits d'origine
animale ».
Il est vrai que les véganes risquent de se retrouver carencé en
vitamine B12, mais ce n'est pas du tout une fatalité : il
suffit de se supplémenter en vitamine B12 qu'on peut acheter dans
des pharmacies ou des magasins véganes. La très grande majorité
des véganes sont conscients de cette question de la B12. On trouve
même des sites véganes comme « Vive
la B12 » sur internet, et de fréquentes recommandations
sur les pages « nutrition » des principaux sites véganes.
Certains véganes refusent pourtant de se supplémenter, estimant que
la B12 est un faux problème. Néanmoins, la tendance générale dans
les milieux véganes est à reconnaître qu'il est plus prudent de ne
pas passer à côté de cette supplémentation.
Cela
dit, Serge Pieters raconte des bêtises quand il dit que c'est la
carence qui va arriver le plus rapidement, tout simplement parce que
les effets de cette carence prennent cinq, voire dix avant que cette
carence ne devienne manifeste. Seconde bêtise toujours dans cette
première phrase : la vitamine B12 viendrait des produits
animaux. C'est complètement faux : la B12 est d'origine
bactérienne, la cyanocobalamine en l'occurrence. Il est vrai que
cette cyanocobalamine trouve un terrain favorable dans l'intestin des
vaches et des ruminants, mais des vaches qui n'auraient pas d'accès
à des pâturages (ce qui est le cas pour les vaches élevées dans
les élevages industriels) ne peuvent pas ingérer de ces bactéries
et sont donc en manque de vitamine B12. Il en découle que la grande
majorité de la production de vitamine B12 dans le monde est destinée
aux animaux et aux vaches qui vivent (l'enfer) dans les élevages
industriels.
*****
Le
nutritionniste Serge Pieters parle ensuite de carences qu'il
reconnaît être « éventuelles » en oméga-3. Il faut
savoir qu'en-dehors des poissons, on trouve des oméga-3 dans le
règne végétal : dans l’huile
de colza, l'huile de lin ou l'huile de noix.
Mais aussi
les noix,
les
graines de lin ou les graines de chia. Il y a le problème de
l'équilibre entre oméga-6 et oméga-3. Beaucoup de véganes sont en
déséquilibre à ce niveau-là, mais tout comme d'ailleurs la
majorité des omnivores ! Il y a par ailleurs tout-à-fait moyen
de trouver des compléments d'oméga-3 avec des gélules produites à
partir de l'huile de micro-algues.
Le
nutritionniste parle enfin de la carence en fer. Il reconnaît
néanmoins qu'on en trouve dans les lentilles. Mais pas seulement !
Dans les haricots secs, les épinards, les abricots secs, le chocolat
noir, les céréales de type muesli, les flocons d'avoine, etc...
(Voir le tableau sur la page
« fer » de l'Association Végétarienne de France).
Il y a aussi la question complexe de la proportion de fer héminique
et de fer non-héminique. Pour faire très bref, la viande contient
plus de fer héminique qui est, en moyenne, mieux absorbé par le
corps. Néanmoins, le fer non-héminique peut bien subvenir aux
besoins du corps, surtout si le corps dispose de beaucoup de vitamine
C (ce qui est souvent le cas chez les véganes). Il semblerait que le
corps des véganes absorbe mieux le fer contenu dans les plats
végétaux que les omnivores. Ajoutons à cela que le fer héminique
très présent dans la viande n'est pas très bon pour la santé et
qu'il est un facteur lié au cancer colorectal, cancer de l’estomac
et cancer de l’œsophage...
*****
On
en vient alors à la question des protéines dont l'imagerie
populaire a contribué à forger l'idée du végane maigre et
rachitique, complètement privé de ces protéines. Il n'en est rien
évidemment : on trouve des protéines à foison dans le monde
végétal. Serge Pieters ne tombe pas dans le panneau – ce serait
trop grossier - mais estime que les protéines végétales sont de
moindre qualité et qu'elles ne sont pas complètes. Pour qu'une
protéine soit complète, il faut qu'elle possède tous les acides
aminés essentiels. Or de nombreuses plantes comme le soja, le quinoa
ou les légumineuses procurent ces acides aminés essentiels.
Notons
qu'effectivement, il y a un léger avantage en faveur des protéines
animales puisque celles-ci ont une répartition entre acides aminés
qui ressemblent plus à la répartition des acides aminés dont les
humains ont besoin pour fabriquer des protéines au sein des
cellules. Mais ce léger avantage est d'abord contrebalancé par le
fait qu'en Occident, tout le monde mange en excès des protéines,
que ce soit les omnivores, les végétariens et même les véganes.
Ensuite, les protéines végétales sont meilleures pour lutter
contre les maladies cardio-vasculaires. Enfin, des études récentes
sur des sportifs montrent que les protéines végétales sont aussi
efficaces pour la prise de muscle que les protéines animales. La
conclusion est qu'il faut abandonner ce mythe des protéines :
les véganes n'ont pas de carence en protéine. Il faut aussi
abandonner le mythe qui dit qu'il faut impérativement associer des
céréales et des légumineuses dans le même repas. Ce n'est pas une
obligation absolue (même si c'est toujours mieux de diversifier ses
aliments tant d'un point de vue nutritionnel que d'un point de vue
gastronomique).
Ensuite
les journalistes posent une question très orientée : « Que
risque un adulte végane qui ne prendrait pas ces compléments
nutritionnels ? ». La question est très orientée
parce que le seul complément nécessaire est la vitamine B12 (en
très petite quantité). La seule alimentation végane pourvoit
largement en protéines. Mais cela n'empêche pas le nutritionniste
de dresser un tableau apocalyptique du végane en carence de
protéines : diminution de l'immunité, maladie, fonte des
muscles, etc... C'est malhonnête parce que cette carence grave en
protéines ne s'observe quasiment jamais en Occident où les gens
mangent à leur faim et sont même généralement en surpoids. Il n'y
a que des personnes anorexiques ou des top-modèles qui recherchent
la maigreur extrême qui peuvent avoir ce genre de problèmes. Le
problème pour les Occidentaux, et les véganes sont ici logés à la
même enseigne que les omnivores, est l'excès de protéines, qui
n'est pas très bon non plus pour la santé.
*****
Ensuite,
Serge Pieters évoque les dangers du véganisme pour les enfants en
bas âge et les personnes âgées. Il dit : « Récemment
encore, un jeune enfant, dont les adeptes du véganisme, est mort
suite à un mauvais rapport alimentaire ». Là encore,
c'est complètement malhonnête : il fait référence au décès
tragique d'un bébé en 2014 à Beveren, or les parents de l'enfant
n'étaient pas du tout véganes ! Constatant que l'enfant était
allergique au lait de vache, ces parents ont donné du lait végétal
pour adultes à cet enfant, sans consulter de médecin. Or les bébés
doivent être nourris avec un lait spécifique pour bébés, que ce
soit du lait de vache ou du lait végétal. Le problème était en
l'occurrence un problème d'auto-médication et de refus de la
médecine traditionnelle, qui a mené à des conséquences tragiques.
Mais on n'a tout mis sur le compte de véganes de manière assez
commode.
Maintenant
sur la question d'employer un régime végane aux différents âges
de la vie, la position
de l'Académie américaine de Nutrition et de Diététique
affirme sans ambiguïté aucune : « La
position de l'Académie de Nutrition et de Diététique est que les
régimes végétariens appropriés, y compris le véganisme, sont
d'un point de vue nutritionnel adéquats et peut procurer des
bénéfices pour la santé dans le traitement de certaines maladies.
Ces régimes sont appropriés à tous les stades de la vie, ce qui
inclut la grossesse, l'allaitement, la prime enfance, l'enfance,
l'adolescence, l'âge adulte, ainsi que pour les athlètes »
(décembre 2016). On ne saurait pas être plus clair.
Tout
l'interview se résume à l'idée d'essayer d'instiller la peur, et
notamment en frappant ce qui nous est le plus cher, les enfants. Il
parle des hôpitaux où on doit « régulièrement »
réalimenter des enfants qui sont dans le même état que des enfants
du tiers-monde, sans être plus précis que cela. Il dit que les
parents véganes sont « des apprentis-sorciers » avec
leurs enfants et qu'il faut dénoncer les risques réels du
véganisme. Il dit qu'on ne trouve pas d'information fiable sur le
véganisme sur les blogs et les sites véganes. C'est faux. Le
problème est aussi que monsieur Pieters n'a pas l'air lui-même très
informé sur le sujet. Il véhicule sans réfléchir les idées
reçues et ne prend même pas en compte les rapports scientifiques
produits par ses collègues américains notamment.
Serge
Pieters n'avoue qu'à demi-mot les avantages (bien réels) du
véganisme, notamment sur la question du diabète, et encore, en
essayant de nuancer. Il serait juste aussi qu'on mentionne les autres
avantages d'un régime végane par rapport aux problématiques
cardio-vasculaires et à la prévention de certains cancers. Mais on
a compris à ce stade que l'intention n'est pas de fournir une
information objective, mais bien de créer la peur, de répandre
cette peur au sein de la population, puisque l'argumentation éthique
est en train de tourner en défaveur des mangeurs de viande.
*****
L'interview
continue en évoquant le lait de vache. Serge Pieters donne une
raison fallacieuse pour justifier de manière éthique le refus du
lait de vache ou de chèvre. Il invoque une volonté de retour à nos
origines paléolithiques. Aucun penseur de l'antispécisme, un tant
soit peu important et sérieux, n'évoque ce genre d'arguments
risibles. Si les véganes refusent le lait de vache, c'est parce que
la production de ce lait suppose d'écarter la maman-vache de son
veau à la naissance, ce qui est la cause d'une souffrance horrible
tant pour la vache que pour le veau. Le veau est la plupart du temps
envoyé à l'abattoir.
Pour
éviter cela, il convient d'éviter le lait de vaches, et de préférer
les laits végétaux comme le lait de soja, le lait de riz, le
lait d'amande, le lait d'avoine, etc... C'est plus anecdotique, mais
monsieur Pieters s'insurge contre cette appellation de « lait »
pour les laits végétaux. À
la base, le lait est la substance produite par une femelle mammifère
pour ses petits. Mais du fait de la proximité de texture et de goût
avec le lait de vache, on donne le nom de « lait » à ces
substances végétales. Cela ne m'apparaît pas du tout être un gros
problème. Je rappellerais juste à monsieur Pieters que ce genre
d'abus de langage existe aussi dans l'autre sens : on parle de
« fruits de mer » pour désigner les huîtres, les
moules, les crustacés... Aucune de ces « fruits de mer »
ne pousse à ma connaissance sur des arbres ou même sur des
algues....
*****
À
la toute fin de l'article, les journalistes se demandent si les
véganes ne sont pas des extrémistes relevant d'une « idéologie
sectaire ». Serge Pieters dénonce les « véganes
virulents » qui sont « extrémistes dans leur démarche ».
Néanmoins : « D'autres
véganes comprennent bien que des gens mangent de la viande et ne
vont pas chercher à imposer leur idéologie ».
Il existe toutes sortes de véganes qui sont plus ou moins
prosélytes, plus ou moins engagés, plus ou moins discrets, plus ou
moins compréhensifs envers les omnivores, plus ou moins révoltés
par l'exploitation animale. Monsieur Pieters pense que le seul bon
végane est celui qui ne se fait pas remarquer, qui ne fait pas de
vague et, surtout, qui ne va pas critiquer le mangeur de viande. Mais
en réalité, si vous êtes végane pour des raisons éthiques, tout
votre régime alimentaire est une condamnation de l'exploitation
animale sordide. La consommation de la viande et des produits animaux
est indéfendable d'un point de vue moral, d'une point de vue
écologique et d'un point de vue humanitaire. Et même sur le plan de
la santé, la consommation de la viande est loin d'être une chose
extra-ordinaire... Autant de raisons de sortir de ce modèle
dominant !
Frédéric Leblanc, le 22 août 2017.
L'équilibre idéal dans l'alimentation végane (Source : Vegan Pratique) |
Vitamines
B12 :
Vive
la B12
Ce
que tout végane doit savoir sur la vitamine B12 :
https://www.societevegane.fr/documentation/sante/ce-que-tout-vegane-doit-savoir-sur-la-vitamine-b12/
D'où
vient la vitamine B12 ?
Les
animaux-emballages (sur la production de B12 à destination de
l'élevage)
Et
la version longue du même article
Oméga-3
La
question des oméga 3 sur Vegan Pratique (avec une bibliographie) :
Les
oméga 3 sur PEA (avec une bibliographie) :
Le
fer
Le
fer (Végan Pratique)
Le
fer végétal serait préférable au fer animal
Le
fer (Association Végétarienne de France) – avec un tableau de
tous les aliments végétaux contenant du fer et leur taux de
présence
Les
protéines
Le
mythe des protéines animales (Jérôme Bernard-Pellet)
Le
mythe de la complémentarité des protéines
Le
mythe de la supériorité des protéines animales
Les
protéines végétales sont aussi performantes que les protéines
animales
Mythes
des protéines (conférence du professeur Massimo Nespolo)
Les
protéines (Vegan Pratique)
Bébés
et laits végétaux
L'affaire du bébé décédé
à Beveren en Flandres et la question des laits végétaux
Position
de l'Académie américaine de Nutrition et de Diététique
http://www.eatrightpro.org/~/media/eatrightpro%20files/practice/position%20and%20practice%20papers/position%20papers/vegetarian-diet.ashx
« Merci,
les bébés véganes vont bien » de Gurren Vegan
Véganisme
et âge de la vie (Vegan Pratique)
Le
nutritionniste Jérôme Bernard-Pellet (spécialiste du végétarisme
et du véganisme)
Le
mythe des protéines animales
Bébé
végane
Question
des carences
Vitamine
D
Dangers
supposés du soja
Bienfaits
d'une alimentation végane
Mode
de vie végane : destruction des mythes et des préjugés
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici.
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