Méditation marchée
On
se représente souvent la méditation comme nécessitant d'être
assis quelque part. Pourtant, on peut très bien méditer debout,
couché ou en train de marcher. La position la plus commode est
certes la position assise car elle est un milieu entre la position
debout où on est fort tenté de partir à gauche et à droite et la
position couchée où on n'a pas envie de bouger, mais où on risque
de s'endormir très vite. En position assise, on n'est pas vraiment
enclin à bouger si on est assis en tailleur, en demi-lotus, voire
encore mieux en lotus où on est vraiment ancré au sol. Et
l'équilibre nécessaire pour maintenir le dos droit fait qu'on ne
risque pas de s'assoupir trop vite (même s'il reste possible de
somnoler, voire de roupiller en position assise, mais ça arrive
nettement moins vite et nettement moins souvent que couché). La
méditation marchée, elle, a deux avantages : c'est une
méditation où l'on peut prendre conscience de notre corps en
mouvement (cela prépare à la méditation en action), et c'est
souvent une pause bienvenue entre deux sessions de méditation assise
pour détendre ses jambes et son dos. Ceci étant dit, la méditation
marchée peut tout à fait être pratiquée indépendamment de la
méditation assise et dans toutes sortes d'occasions différentes.
C'est ce que va aborder cet article.
Méditation marchée au Village des Pruniers (France) |
Tout
d'abord, je conseillerai le rythme très lent de la tortue pour
commencer à pratiquer l'attention dans la marche. Ce n'est pas une
obligation absolue puisqu'on peut très bien pratiquer la méditation
marchée lors d'une balade ou d'une randonnée quand on marche d'un
bon pas. On peut même pratiquer la méditation quand on court ou
qu'on fait un jogging. Mais globalement, il est beaucoup plus facile
de focaliser son attention quand on se déplace lentement, voire très
lentement. Pour commencer, il est donc judicieux de ralentir
considérablement la cadence pour être à la frontière de
l'immobilité et du mouvement.
Dans
les pratiques Zen de la méditation marchée, on conseille de
corréler le souffle et l'avancée du pied : par exemple, dans
le Zen Inter-Être, on demande de
pratiquer d'avancer le pied gauche en inspirant et le pied droit en
expirant ou vice-versa ; dans le Zen Sôtô, on lève le pied en
inspirant et on déroule le pied en expirant, ce qui est encore plus
lent. Personnellement, je ne recommande pas ce genre de corrélation
un peu artificielle : quand on marche naturellement, on n'avance
pas ses pieds en fonction de sa respiration, mais en fonction de la
nécessité d'avancer et et en fonction du terrain sur lequel on se
trouve. Je conseillerai donc de respirer de manière naturelle et
d'avancer les pieds à son rythme. C'est plus spontané. Si on
pratique la méditation marchée en groupe, on avancera en fonction
de la progression des autres. Ne pas rentrer dans celui qui nous
précède, ne pas le laisser filer au loin non plus ! C'est
d'ailleurs une dimension intéressante que de prendre conscience de
ses pas et de son corps se mouvant lentement en s'harmonisant à la
marche des autres.
Je
conseillerai également de centrer son attention sur la plante des
pieds. Les plantes de pieds sont un lieu très particulier du corps :
tout le poids du corps s'exerce au niveau de la plante des pieds
quand on se tient debout et quand on marche. C'est notre point de
jonction avec la Terre et l'entièreté de ce monde matériel. Dans
beaucoup de cultures, les pieds sont la partie la plus méprisée du
corps puisque la plus basse. C'est pourtant cette partie basse du
corps qui nous permet d'avancer et de rejoindre notre destination.
Voilà pourquoi il est intéressant de centrer son attention sur la
plante des pieds quand on pratique la méditation marchée. On
focalise notre attention sur la plante des pieds, et si des pensées
viennent nous détourner de cette attention, dès qu'on s'en rend
compte, on revient calmement à la conscience de nos pieds et des
sensations que procure la marche à la voûte plantaire. De la même
façon, que marcher sur une plage humide laisse des traces de pas sur
le sol, notre méditation marchée doit laisser dans notre conscience
ces instants où le pied s'arrache au sol et y revient quelques
centimètres plus loin.
Après,
vous avez le choix : soit focaliser sa concentration sur la
plante des pieds comme objet unique d'attention, soit vous ouvrir à
une conscience plus large des choses tout en gardant pour centre
cette attention à la plante des pieds. Pratiquer les quatre
établissements de l'attention : être attentif au corps dans le
corps, être attentif aux sensations dans les sensations, être
attentif à l'esprit dans l'esprit, être attentif aux objets de
l'esprit dans les objets de l'esprit. Pratiquer les quatre qualités
incommensurables : amour, compassion, joie, équanimité.
Développer l'esprit d’Éveil, souhaiter que tous les êtres soient
libérés de cette existence de souffrance. Prendre conscience de
l'impermanence des choses, voir la vacuité des phénomènes.
Focaliser son attention sur un point permet de développer son
pouvoir de concentration tandis qu'élargir son domaine d'attention
permet de cultiver l'ouverture d'esprit et la sagesse.
Que
vous optiez pour une conscience entièrement focalisée sur la plante
des pieds ou pour une conscience plus ouverte à l'entièreté du
corps et au monde qui s'ouvre à vous, soyez toujours bien conscient
que l'on peut toujours aller plus loin dans la faculté d'attention,
dans sa capacité à se maintenir sans distraction et sans être
détournée par les pensées de tout genre ainsi que dans l'acuité
de cette perception. Pour ne prendre que l'exemple de la plante des
pieds, au début, on a une sensation très grossière des pieds qui
reposent sur le sol ; mais ensuite, on peut affiner de plus en
plus cette attention aux sensations qui parcourent toute la voûte
plantaire.
Ensuite,
il y a aussi une dimension importante dans la méditation marchée
qui est la conscience du pas qu'on est train de faire. D'ordinaire,
quand on marche ou qu'on se déplace, quelque soit le moyen, on est
obnubilé par la destination de notre déplacement. On a envie
d'arriver au but le plus vite et avec le moins d'effort possible.
C'est comme dans les épisodes des Schtroumpfs lorsque les
petits schtroumpfs doivent accomplir un long voyage et qu'ils demande
au Grand Schtroumpf : « C'est encore loin, Grand
Schtroumpf ? ». Et le Grand Schtroumpf de répondre :
« Non, plus très loin ». Mais après que les petits
schtroumpfs aient reposé maintes fois la question, le Grand
Schtroumpf, excédé, finit par répondre « Oui, très très
loin !». Dans la méditation marchée, l'important n'est
pas d'arriver à la destination voulue, mais bien d'être conscient
du pas que l'on est en train d'accomplir dans l'ici et maintenant.
Soyez conscient de la plante des pieds qui s'appuie sur le sol, du
pied qui décolle et qui avance, et puis du pas qui se déroule
tandis que l'autre pied s'appuie sur sa pointe et s'apprête à
quitter le sol pour s'avancer à son tour.
De
manière générale, quand on marche, il est bon de se détendre dans
l'instant présent du pas que l'on est en train d'accomplir plutôt
que d'être tendu par l'idée d'arriver le plus vite possible à son
but. On appréciera d'autant plus sa marche ou sa randonnée si on se
montre capable de se réjouir de l'instant présent. Il n'y a
d'ailleurs jamais rien d'autre que de l'instant présent. Que vous
commenciez votre marche, que vous soyez au milieu ou que vous
arriviez à votre but, c'est toujours l'instant présent. Seules vos
pensées vous emmèneront dans le passé ou le futur. Mais pourquoi
s'acharner à vouloir quitter cet instant présent ? Revenir à
cet instant présent qu'on ne quitte jamais vraiment permet de lâcher
un instant précieux le fardeau des tracas et des remords. Soyez
conscient de toutes les sensations plaisantes ou déplaisantes,
lâchez prise et marchez d'un pas détendu. Soyez ouvert à l'instant
présent.
Sukhothai (Thaïlande) - Mark Lehmkuhler |
Sur la méditation de manière générale :
Pour un commentaire beaucoup plus détaillé des pratiques du Soûtra de l'Attention au Va-et-Vient de la Respiration, voir :
- En compagnie du souffle :
Sur les méditation des Quatre Qualités Incommensurables :
Les différentes formes de l'amour et comment concilier ces différentes formes avec sagesse.
- Les Quatre Demeures de Brahmā : amour illimité, compassion illimitée, joie illimité et équanimité illimitée
On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.
- Joie
Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?
L'équanimité dans la méditation, l'apaisement des remous de la vie. Comment la pratiquer ? Comment la mettre en œuvre dans la vie de tous les jours ?
Voir également :
- Commentaires sur « L’Art de la Méditation » de Matthieu Ricard : voir le texte
Pourquoi les enseignements du Bouddha sont-ils si rarement cités par les lamas du bouddhisme tibétains ? Est-ce que la méditation sur la nature de l'esprit n'occulte pas l'établissement de l'attention portée sur le corps (telle que le Bouddha l'enseigne dans le Soutra des Quatre Etablissements de l'Attention) ? Les soutras du Petit Véhicule ont-ils un intérêt dans la méditation sur la vacuité telle que l'expriment les soutras de la Perfection de Sagesse ? Comment intégrer les différents Véhicules du bouddhisme ?
Le progrès lent et graduel de la méditation. Comment arriver à la pleine conscience ?
Beaucoup de gens aiment faire quelques longueurs à la piscine pour se relaxer. C'est effectivement quelque chose de délassant de se baigner dans l'eau et d'activer l’entièreté de son corps. Mais je trouve que la piscine est aussi excellent endroit pour pratiquer la méditation et l'attention.
On m'a récemment posé la question : je ne peux pas pratiquer la méditation de l'attention portée à la respiration, puisque je suis asthmatique. Que dois-je faire ? Il se trouve que je suis, moi aussi, asthmatique. En fait, le fait de respirer bien ou mal n'a rien à voir avec la pratique de l'attention telle qu'est enseignée par le Bouddha. Il s'agit de prêter attention à la respiration, pas de la réguler à tout prix. Même pendant une crise d'asthme, on continue à inspirer et expirer. Vous le faites difficilement du fait de la crise, mais vous le faites, sinon vous seriez mort. Il faut seulement prendre conscience de cette conscience de cette respiration et laisser l'esprit se calmer et se libérer de lui-même.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
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