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samedi 18 mai 2019

De temps en temps, les nuages





De temps en temps, les nuages
Nous reposent
De tant regarder la lune.

Matsuo Bashō (1644 – 1694), 
Bashō Kushū, 472 ; Miyamori, 77.






Kawase Hasui, Lune brumeuse, 1924.





Traditionnellement, la lune est un symbole de la conscience qui dissipe les ténèbres de l'ignorance par sa clarté. La méditation consiste à répandre cette clarté de la conscience et de l'attention dans chaque aspect de notre vie. Éclairer encore et encore le corps et l'esprit et rester vigilant, voilà comment on pourrait résumer brièvement la méditation. Mais cet acte d'attention ne peut-il pas à la longue être source de tension comme quelqu'un qui s'efforcerait de regarder des heures durant la face de la lune à la longue vue ? C'est que suggère délicatement ce haïku de Bashō.


On a ce terme de « Pleine Conscience » qui en vient à remplacer le terme de « méditation » comme s'il fallait imposer directement une transparence totale à soi-même, écarter agressivement toute trace de distraction en nous. Mais cela est impossible : l'attention ne se développe que très lentement, lentement, lentement en nous. Et cette attention même soutenue peut être recouverte très vite de pensées, de souvenirs, d'émotions, de rêveries. On a cette expression assez catastrophique pour décrire la méditation : « faire le vide en soi », comme s'il fallait balayer tout ça. Mais parfois, rien ne sert de se battre : les pensées nous traversent comme les nuages recouvrent momentanément la lune, laissons ces pensées nous traverser. À la longue, on en vient à cultiver une forme d'attention dans l'inattention. La distraction nous envahit, mais une petite partie de l'esprit reste vigilante, observant le processus même de la distraction.









Hasui Kawase, Pleine lune à Magomé, 1930.



D'autres haïkus de Bashō : 













Voir également : 























Takahashi Shotei Maison de thé au clair de lune   -    vers 1930









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3 commentaires:

  1. "On a ce terme de « Pleine Conscience »

    Attention il ne faut pas prendre cette expression au pied de la lettre il s'agit d'une traduction de mindfulness or il n'y a qu'un L à mindfulness. Le "ful" ne signifie pas "full" plein ou total. Le "ful" est un suffixe qui permet de transformer un nom en adjectif puis le "ness" en qualité: Exemple color (couleur) colorful (coloré) colorless (incolore) colorness (coloration)colorfulness (multicolore)

    mindfulness est la traduction en anglais de samma-sati en pali, samyag-smriti en sanscrit, peut se traduire par attention juste.

    Du coup quand tu écris: que c'est
    écarter agressivement toute trace de distraction en nous.

    c'est un contresens car

    C'est plutôt se rendre disponible au caractère multidirectionnel des sensations (olfactives, gustative, tactiles, auditives...)

    Manger en pleine conscience ce n'est pas manger en faisant disparaitre toute trace de distraction en pensant "je mange des petits pois, un point c'est tout" c'est au contraire se laisser distraire par les sensations de rondeurs, de textures ,de couleurs, de goût que peuvent avoir les petits pois... si possible sans verbaliser intérieurement.

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  2. Je dis bien dans mon court texte : " On a ce terme de « Pleine Conscience » qui en vient à remplacer le terme de « méditation » ". Ce n'est donc pas de la pleine conscience en elle-même (et tous ses développements) dont je parle, mais de l'expression même de « pleine conscience » et surtout de ce que cette expression peut suggérer : braquer les projecteurs de l'attention sur l'entièreté de la conscience.

    J'admets qu'un éventuel traducteur anglophone de mon texte aurait cependant un problème. Il serait obligé de traduire « pleine conscience » par « mindfulness » ; et du coup, mon texte ne voudrait plus rien dire. « Mindfulness » vient effectivement de l'anglais « mindful » qui signifie « attentif » et serait rendu littéralement par des néologismes tels que « attentivité » ou « attentionneté ». « Pleine conscience » ne rend pas parfaitement « mindfulness ».

    Ce que je voulais souligner, c'est la tendance à imposer une concentration tendue sur la conscience comme s'il fallait vaincre la distraction et la dissipation comme l'ennemi par excellence. D'un certain point, c'est effectivement ce qu'il faut faire : s'exercer encore et encore à être attentif au moment présent ; mais de l'autre, cet effort de la volonté pour maintenir l'attention peut être une source de tension nocive à la méditation et à la vision pénétrante. Il faut paradoxalement accepter que des nuages recouvrent la clarté de la conscience et emportent notre attention pour un temps pour cultiver une attention subtile ne reposant pas sur la volonté, mais sur le non-agir et la spontanéité, une attention subtile qui observe en douce le processus même de l'inattention et de la distraction. Cette attention subtile ne peut se développer que très lentement dans une pratique de la méditation sur le long cours, une proximité de longue date avec l'attention juste.


    Enfin, je ne vois pas pourquoi être attentif aux sensations de rondeurs, de textures, de couleurs, de goût des petits pois serait une « distraction ». La distraction, me semble-t-il, c'est penser à sa déclaration d'impôt quand on mange ses petits pois ou quand on ressasse les paroles méchantes que notre voisine de bureau a pu prononcer hier au boulot à notre encontre... Si on fait des petits pois un objet d'attention (pourquoi pas?), on aura toutes sortes d'impressions visuelles, la rondeur du petit pois, sa couleur verte, d'impressions tactiles, sa tendance à s'écraser sous nos doigts, leur poids modestes et des impressions gustatives. La distraction peut venir du mental qui substitue le concept de petit pois au petit pois lui-même et qui s'attache aux caractéristiques du petit pois. Elle peut venir aussi des pensées parasites qui n'ont rien à voir avec le fait de contempler les petits pois.

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    1. Parce que tu fais du mot distraction un mot plutôt péjoratif. Pour moi la distraction s'oppose à la concentration. Le problème c'est qu'il est difficile d'être concentré sur plusieurs choses à la fois. Si tu enlèves sa charge péjorative au mot "distraction" et que tu le prends au sens ludique du terme il est plus facile d'être dans le non-agir en se laissant distraire par les sensations (qui sont plurielles) qu'en se concentrant sur une seule chose à la fois de manière volontariste. Je ne trouve pas que penser à sa feuille d’impôt soit distrayant, en revanche se laisser distraire par les poussières qui volent dans un rayon de soleil en zazen au petit matin c'est autrement plus fascinant.

      Pour le reste nous sommes d'accord.

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