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samedi 14 décembre 2013

Les animaux aussi intelligents que les hommes, voire plus intelligents qu'eux ?

Je suis tombé hier sur cet article du Huffington Post :

Selon cet article, les humains ne seraient pas les créatures les plus intelligentes de la Terre, selon les déclarations du docteur Maciej Henneberg, professeur à l’Université d'Adélaïde. Les animaux, du fait de leurs modes de perception du monde différents des nôtres, ont des capacités mentales supérieures aux nôtres dans certains domaines : « Le fait que les animaux ne puissent apparemment pas nous comprendre, et que nous ne les comprenons pas, ne veut pas dire que nos 'intelligences' se situent à des niveaux différents, elles sont juste de nature différente", affirme Henneberg. Certains animaux marquent leur territoire de manière complexe pour communiquer. Les humains ne peuvent pas interpréter ces marquages, a-t-il déclaré, mais "ils sont peut-être aussi riches en information que le monde visuel."


Les orques ont leur propre langage, très complexe, et les dauphins ont des noms individuels –exactement comme nous– formés à partir de sifflements. "Cela veut dire que les dauphins font la distinction entre leur propre personne et les autres", analyse Henneberg au HuffPost Science.  Les éléphants, dit-il, pleurent leurs morts et ont une excellente mémoire. Les castors sont capables de construire des barrages et des cabanes souterraines. Les tisserins fabriquent des nids complexes à plusieurs étages. Et cette liste s'allonge ».

  En réalité, l’idée de ces scientifiques n’est pas complètement nouvelle, puisque déjà dans l'Antiquité, le philosophe sceptique Ænésidème[1] mettait en doute que l'homme soit la seule espèce intelligente sur Terre, voire la plus intelligente. C’était même la première de ses « dix tropes » qui allait mettre en cause la prétention abusive de l’Homme à pouvoir détenir la Vérité. Comme le dit Diogène Laërce, exposant cette première trope d’Ænésidème : « Et les uns ont telle constitution, les autres telle autre ; c’est pourquoi ils diffèrent aussi par leur sensibilité : par exemple, les faucons ont une vue très perçante, les chiens un odorat très développé. Il est donc vraisemblable qu’aux yeux différents surviennent aussi des impressions visuelles différentes[2] ».

Remarquez que les animaux étant doté d’une sensibilité, ils peuvent prétendre à la connaissance de la vérité au même titre que les humains, ou ne pas y prétendre, en vertu du doute sceptique, mais toujours au même titre que les humains alors ! Non seulement ces animaux ne sont pas déficients par rapport à l’homme au niveau des connaissances sensibles, mais en plus le monde doit leur apparaître de façon très différente par rapport à nous, les hommes. Par ailleurs, selon un argument que les sceptiques ont retrouvé chez Chrysippe, un stoïcien, un chien s’avère capable de raisonnement et de logique quand trois chemins s’offre à lui, dont un conduit à son maître ; s’il a pris deux chemins qui ne mènent à rien, alors il emprunte le troisième.

Dans l'Apologie de Raymond Sebond au XVIe siècle, Michel de Montaigne mettait également en doute l'arrogance des hommes de se croire la seule espèce capable d'intelligence et de détenir la Vérité. « Comment l'homme connaît-il par l'effort de son intelligence, les branles internes et secrets des animaux ? Par quelle comparaison d'eux à nous conclut-il la bêtise qu'il leur attribue ? Quand je joue avec ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi, plus que je ne le fais d'elle ?[3] » Notre jugement sur les animaux ne se base sur une connaissance sérieuse de ces animaux, mais bien plutôt sur des préjugés et notre naturelle présomption à nous croire supérieur et séparé du reste du monde naturel. On ne voit plus dès lors les stratégies et les capacités des animaux qui sont parfois bien plus merveilleuses et affinées que les nôtres. Ainsi les hirondelles et les araignées dans leurs constructions :

« Les hirondelles que  nous voyons au retour du printemps fureter dans tous les coins de nos maisons, cherchent-elles sans jugement, et choisissent-elles sans discrétion, de mille places, celle qui leur est la plus commode à se loger ? Et en cette belle et admirable contexture de leurs bâtiments, les oiseaux peuvent-ils se servir plutôt d’une figure carrée, que de la ronde, d’un angle obtus, que d’un angle droit, sans en savoir les conditions et les effets ? prennent-ils tantôt de l’eau, tantôt de l’argile, sans en juger que la dureté s’amollit en l’humectant ? planchent-ils de mousse leur palais, ou de duvet, sans prévoir que les membres tendres de leurs petits y seront plus mollement et plus à l’aise ? Se couvrent-ils du vent pluvieux, et plantent leur loge à l’Orient, sans connaître les conditions différentes de ces vents, et considérer que l’un est plus salutaire que l’autre ?


Pourquoi épaissit l’araignée sa toile en un endroit, et relâche en un autre ? se sert à cette heure de cette sorte de nœud, tantôt de celle-là, si elle n’a et délibération, et pensement, et conclusion ? »

Et Montaigne de conclure : « Nous reconnaissons assez en la plupart de leurs ouvrages, combien les animaux ont d’excellence au-dessous de nous, et combien notre art est faible à les imiter ? »


Et aujourd'hui, on voit que des scientifiques rejoignent les conclusions d’Ænésidème et de Montaigne…


Bai Wenshu, 14 décembre 2013


[1] Parfois écrit : Énésidème.
[2] Diogène Laërce, « Vies et doctrines des philosophes illustres », IX, 80 (chap. sur Pyrrhon), sous la dir. De Marie-Odile Goulet-Cazé, Librairie générale française, 1999.
[3] Michel de Montaigne, Les Essais, II, 12.

Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.

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