Yves Bonnardel a répondu à mon article « L’animalisme est-il un
humanisme ?» qui défendait l’humanisme dans une perspective antispéciste
et qui critiquait l’antihumanisme d’Yves Bonnardel dans une interview que l’on
peut trouver sur le net. Sa réponse n’a néanmoins pas été une réfutation de mes
propres arguments, mais une suite de liens vers des articles de David Olivier,
autre collaborateur des « Cahiers Antispécistes ». Et en particulier,
il met en exergue un de ses articles : « Je trouve que la première partie de l'article de David, "Pour un radicalisme
réaliste"[1],
met bien en lumière que c'est abusivement que nous rapportons à l'idée
d'humanité (de même qu'à l'humanisme) diverses caractéristiques
positives... ». C’est donc à cet
article de David Olivier que je répondrai ici.
Quant au lien vers un article de David Olivier qui critique
le livre « Le nouvel ordre
écologique » de Luc Ferry qui mettait dans un même sac les écologistes
et les antispécistes, j’ai déjà dit que je ne me revendiquais pas de
l’humanisme de l’homme-dieu tel qu’il est prôné par Luc Ferry. C’est pour moi
une idéologie à l’intention des golden boys et des capitaines d’entreprise qui
n’est pas ce que j’appelle l’humanisme. En outre, étant écologiste et
antispéciste, je ne peux évidemment pas souscrire au message de Luc Ferry dans
« Le nouvel ordre écologique ».
Dans mon article « L’animalisme est-il un humanisme ? », j’ai suffisamment expliqué, il me semble, que l’humanisme
n’était pas une doctrine unique et figée. Luc Ferry n’est pas l’horizon
indépassable de l’humanisme, loin s’en faut ! Et j’ai d’ailleurs mis en
avant dans ce texte la figure de Michel de Montaigne comme incarnant un
humanisme beaucoup plus respectueux des
animaux que cet humanisme qui mise sur la « grandeur de l’homme »
*****
L’article de David commence un réquisitoire à charge
contre l’humanisme, tant du point de vue historique que d’un point de vue
logique. Commençons par cette critique logique de l’humanisme :
« Par sa
structure même, l'humanisme est incompatible avec l'égalité, y compris entre
êtres humains. Qu'est-ce que "l'Homme" ? On nous a habitués à
croire deux choses tout à fait contradictoires :
- Tout membre de l'espèce humaine est
d'emblée, pleinement et donc de façon égale, Homme.
- Nous devons nous efforcer d'être conformes
au modèle « Homme », d'être le plus humaines
possible. On peut donc être plus ou moins Homme.
Ces deux propositions sont simultanément
omniprésentes dans le martèlement idéologique humaniste. Par exemple, les
fascistes, qui ne croient pas en l'égalité humaine, seraient des monstres, des
« rats » (« la bête immonde ») ; des sous-hommes, en
somme...[2]»
Personnellement, je ne vois pas là de contradiction, même si
la coexistence peut s’avérer problématique d’un point de vue philosophique. Envisageons la première proposition : tous les hommes sont
dans les faits des êtres humains de plein droit et doivent être considérés
comme tel. Aujourd’hui, cela apparaît comme évident du fait même de l’humanisme
et un de ses avatars, l’idéologie des droits de l’homme. « Tous les hommes
sont égaux en droit et en dignité », nous dit le premier article de la
déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
Cela nous apparaît évident aujourd’hui, mais rappelons
qu’Aristote dans son traité «La Politique » commence par justifier
l’esclavage en expliquant qu’il y a des hommes qui sont maîtres par nature et d’autres qui sont des
esclaves par nature. Rappelons la
controverse de Valladolid où l’Église catholique et romaine se demandait
sérieusement si les Indiens d’Amérique étaient des êtres inférieurs ou des hommes
comme nous, les Européens et si le massacre des Indiens était justifié au vu de
leurs coutumes barbares. On rappellera aussi la « traite des Nègres »
et toutes les horreurs de l’esclavage ainsi que la ségrégation et le racisme. Pas
plus tard que hier, la garde des sceaux, la ministre française de la justice,
Christine Taubira, s’est encore une fois fait traiter de « singe »
tout juste bonne à manger des bananes par des militants fascistes avec
l’assentiment tacite de l’extrême-droite qui ne veut plus d’ailleurs qu’on la
qualifie « d’extrême-droite », parce qu’elle serait devenue
« respectable ». Cette nuit s’est éteint Nelson Mandela qui a
symbolisé la lutte contre l’apartheid, autre système de différenciation
violente et de ségrégation entre les hommes.
L’humanisme voit dans chaque homme un être humain à part
entière, et dans l’ensemble des hommes une humanité unique : que l’on soit
serf ou que l’on soit noble, que l’on soit noir ou blanc, que l’on soit de
confession chrétienne, musulmane, juive ou bouddhiste, que l’on soit de telle
ou telle nationalité, que l’on soit homme ou femme, que l’on parle telle ou
telle langue, que l’on ait telle ou telle croyance, que l’on appartienne à
telle ou telle culture, à telle ou telle ethnie, nous sommes des hommes de
plein droit. Et derrière les multiples apparences et les multiples appartenances,
nous sommes tous des êtres humains. Et nos différences ne doivent masquer pas l’unité du genre humain.
Ceci étant dit, l’humanisme appelle les hommes à faire
preuve « d’humanité ». Comme si les hommes n’étaient pas toujours
remplis « d’humanité ». Il y aurait des hommes qui seraient plus ou
moins humains selon leur comportement. Il y aurait même des actes tellement
atroces à l’encontre des êtres humains qu’ils seraient qualifiés de
« crime contre l’humanité ». Adolf Hitler et ses camarades nazis étaient
des criminels contre l’humanité. Pour autant, étaient-ils moins humains pour la
cause comme le dit David Olivier ? Non, ce n’étaient pas des démons même
si on a pu les qualifier de « rats » ou de « bête immonde »
(référence au Diable, et pas à un quelconque animal comme voudrait le faire
penser David Olivier, même si l’assimilation du Malin à la « Bête »
doit nous faire réfléchir sur nos représentations). Hitler et ses sbires étaient
des hommes, aussi terrible soit cette vérité. Et ils ont montré tout ce dont
les hommes sont capables à l’encontre d’autres hommes et d’autres catégories
d’hommes (les Juifs, les Tziganes, les communistes, les francs-maçons, les
homosexuels,…). Mais il reste encore et toujours des hommes en vertu du premier
principe qui reconnaît le statut d’être humain à tous les êtres humains quel
que soit leur religion, leur nationalité, leur croyance, mais aussi quels que
soient leurs méfaits et leurs crimes. Un salaud reste un être humain. Marc
Dutroux, Ben Laden ou Hitler sont ou étaient des êtres humains. Et un État de
droit se doit de traiter les pires salauds comme des êtres humains et de leur
donner un procès digne de ce nom.
Le fait que tous les êtres humains
doivent être considérés comme des êtres humains est une première exigence
morale pour les États et les sociétés humaines et un droit à faire valoir pour
tous les êtres humains. Mais le second principe qui dit que nous devons faire
preuve d’humanité envers nos semblables humains, mais aussi envers les animaux.
C’est là une exigence morale données aux individus de s’améliorer eux-mêmes et
d’employer à meilleur escient toutes les capacités dont nous a pourvue notre
nature humaine. Le premier principe est un droit accordé à tout être humain et
que nous devons à notre tour accorder à tout être : tout homme fait partie
de la famille humaine. Tandis que le second principe consacre notre
responsabilité envers les autres êtres sensibles tant d’un point de vue
individuel que d’un point politique. Ce second principe consacre aussi le rôle éducatif
que nous avons envers les générations futures d’êtres humains, de leur préparer
une humanité meilleure et de les aider à rendre cette humanité meilleure.
Le second principe ne va donc contre
l’égalité de droit entre les êtres humains comme le suggère David Olivier. Il
tend à vouloir nous rendre meilleurs sur un plan moral, à nous rendre plus
« humains » dans nos comportements et nos jugements. Bien sûr, il y a
là une inégalité de fait sur ce plan moral : certains hommes sont
meilleurs que d’autres ; tout le monde en fait l’expérience. Il y a dans
ce monde des chics types et des salauds ; il y a des égoïstes et des
altruistes, il y a des gens paisibles et des gens impulsifs, haineux et
colériques. Pour autant, les gens vertueux sont-ils plus « humains »
que les salauds ? Encore une fois, non ! Les hommes sont les
hommes ; et aucun ne va perdre sa qualité d’être humain pour autant qu’on
reste dans le cadre humaniste. Bien sûr, on peut louer des gens pour leurs
comportements, ainsi que leur lutte ou leur engagement pour la justice ou le
bien-être ; et inversement, on peut condamner moralement ou légalement
ceux qui font honte à « l’humanité ».
L’humanisme est essentiellement un
pari sur l’homme, penser que l’on peut employer les potentialités de l’homme
pour faire surgir le progrès et le bien-être pour l’homme. L’humanisme voit
donc l’humanité dans chaque être comme un fait pour chaque humain, fait qui lui
confère des droits et une dignité. Mais l’humanisme voit aussi dans l’humanité
un ensemble de valeurs morales prescriptibles à l’ensemble des êtres humains,
un dénominateur commun au niveau moral entre tous les hommes et toutes les
femmes sur la Terre. Et il est de notre responsabilité individuelle et
collective d’incarner le mieux possible ces valeurs morales, de faire preuve le
plus souvent possible « d’humanité », quand, dans le même temps,
d’autres êtres humains tournent résolument le dos à cette
« humanité » en commettant des génocides, en employant des armes
chimiques ou bactériologiques contre leur propre population ou en appelant à la
haine et à la violence à l’encontre d’autres catégories d’êtres humains.
Il reste alors à distinguer le
rapport qu’entretient la morale humaniste et les morales particulières qui
dépendent des diverses cultures, des diverses religions ou des diverses
philosophie. La morale humaniste ne peut pas être une morale qui répond à
toutes les interrogations éthiques des hommes et qui dictent des conduites à
ceux-ci pur chaque situation, si elle veut conserver son caractère humaniste.
La morale humaniste se doit d’être un dénominateur commun sur lequel peuvent
s’accorder les hommes dans leur diversité. Pour prendre un exemple qui touche
de près les mouvances de libération animale, la morale humaniste en tant que
telle ne dit pas s’il convient ou pas de manger de la viande. Certains
humanistes mangeront de la viande sans trop de scrupule ; d’autres
humanistes inspirés par l’antispécisme ou des philosophies de la non-violence
comme le bouddhisme ou le jaïnisme refuseront de consommer cette chair d’un
animal abattu en vue de notre consommation personnelle. Est-il éthique de tuer
un animal pour en consommer la viande ? L’humanisme en tant que tel ne
peut pas y répondre. Sur cette question comme sur d’autres (l’avortement,
l’euthanasie, la consommation des drogues et de l’alcool,…), l’humanisme reste
un espace d’indétermination.
Pourtant on sent bien que se mettre
à torturer gratuitement une vache ou un autre animal heurte une conception
profonde du bien en nous : c’est un manque patent d’humanité. Le malaise
que peuvent susciter les images des élevages industriels même chez des mangeurs
impénitents de viande montrent qu’il y a des principes qui transcendent les
morales particulières. Est-ce qu’on peut définir et codifier cette morale
humaniste ? La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 était
une tentative d’énoncer des principes valables pour tous les êtres humains,
quels que soient leur culture, leur religion, leur politique, leur statut
social, leur âge ou leur sexe. Mais cette déclaration comme son nom l’indique
ne s’adressait qu’aux hommes. Depuis lors, on a essayé de rédiger une
déclaration universelle du droit des animaux (de 1978)[3];
mais celle-ci est restée beaucoup plus discrète que sa version pour les animaux
humains !
Le débat de cerner précisément cette
morale humaniste n’est pas facile, car il nécessite un accord entre les
philosophies morales, les idéologies politiques et les religions pour convenir
d’une base commune ; et d’autre part, l’humanisme n’est pas une doctrine
commune ; on trouve différents variations de l’humanisme : humanisme
matérialiste, humanisme spiritualiste, humanisme chrétien, humanisme confucéen,
humanisme bouddhique… Ces idéologies peuvent avoir différentes conceptions de l’Homme
et de sa relation avec l’environnement, la société, voire avec une
transcendance. Emmanuel Kant estimait que la principale question de la
philosophie était : « Qu’est-ce que l’homme ? ». Effectivement,
tout humaniste se doit de se poser la question, mais il doit accepter que d’autres
que lui auront une réponse à la question.
Mais je ne pense pas que ce soit un
problème majeur : que l’humanisme soit un espace d’indétermination n’est
pas une faiblesse à mes yeux, mais plutôt une force, puisque c’est cet espace d’indétermination
qui permet la coexistence pacifique et les échanges entre les différentes
doctrines qui viennent remplir cet espace. L’humanisme se doit d’être souple
pour rencontrer son temps. Le fait que le cadre moral dans lequel nous vivons
évolue : dans les années ’60, tout le monde voyait les élevages
industriels comme une chance pour offrir une alimentation bon marché à l’ensemble
de la société (la viande étant considérée comme le point central de cette
alimentation, un droit qui devait devenir accessible à nous), et on fermait les
yeux sur le devenir des animaux dans ce processus industriel. Aujourd’hui, il
est de plus en plus difficile de fermer les yeux, le sort des animaux dans ces
élevages industriels heurte frontalement nos sensibilités humaines et égratigne
la haute idée que l’on se fait de notre « humanité ». L’humanisme qui
se désintéressait des animaux pour ne se préoccuper que de la condition humaine
en vient à accepter si pas le droit des animaux, au moins, des conditions pour
le bien-être des animaux. Les choses évoluent donc, trop lentement certainement
pour les militants de la cause animale, et avec bien trop d’hypocrisie ou de
propagande fallacieuse (que l’on regarde les publicités qui nous donnent à
montrer une basse-cour rayonnant de bonheur et que l’on mette en parallèle les
véritables images de l’élevage des bêtes, que nous donnent à montrer des
associations de libération animale, et toutes les tentatives d’intimidation
juridique que celles-ci subissent). C’est donc trop lent, mais les conceptions
évoluent et des ouvertures se créent malgré tout.
Pour conclure :
1°) l’humanisme confère
effectivement la dignité d’êtres humains à tous les êtres humains quels qu’ils
soient : qu’ils soient beaux ou laids, grands ou petits, riches ou
pauvres, bêtes ou intelligents, bon ou mauvais, chrétiens ou musulmans, juifs
ou hindouistes, marxistes ou capitalistes, tous sont donc égaux en droit.
2°) l’humanisme appelle effectivement
tous les êtres humains à une conduite morale plus humaine quelle que soit la
morale particulière dont ils se revendiquent personnellement, cela en regard
avec une certaine idée des qualités et des capacités dont chaque homme peut
faire preuve. En conséquence, l’humanisme appelle chaque homme à faire preuve
dans ses actes personnels d’humanité, mais aussi dans la vie publique et
politique à avoir un engagement humanitaire. Cela fait que si l’on compare les
hommes entre eux sur ce critère humanitaire, les hommes ne sont effectivement
pas égaux : dans ce monde, il y a des grands hommes et il y a des salauds.
Il y a aussi et surtout une grande majorité des gens normaux, qui tantôt
suivent les uns, tantôt suivent les autres, tantôt sont de braves gens, tantôt
sont des SS qui gèrent des camps de concentration, tout en restant de bons
pères de famille, comme l’a montré Hannah Arendt dans sa thèse sur la « banalité
du mal » qu’elle a développé après avoir suivi le procès d’Adolph Eichmann
à Jérusalem. Du point de vue humanitaire, on verra une inégalité sur un plan
moral entre d’un côté Nelson Mandela, le dalaï-lama, l’abbé Pierre, sœur Emmanuelle,
Martin-Luther King et de l’autre Adolph Hitler, Bashar El-Assad, Mao Tsé-Toung,
Staline ou Polpot. Mais cette inégalité morale est une inégalité dans les actes, qui ne remet pas en question l’égalité
en droit de chaque homme.
Il me semble normal d’honorer les uns et de cracher sur les
autres, parce qu’il s’agit d’influencer l’immense masse des gens normaux et s’en
servir comme modèles pour fonder une humanité meilleure. Si l’on veut que l’humanité
progresse et aille dans le sens d’une égalité de fait entre chaque citoyen du
monde, il faut mettre en exergue ces modèles. Et pour ceux qui commettent des
crimes contre l’humanité, notre attitude doit être ferme dans la condamnation,
mais aussi, puisqu’il reste des êtres humains en droit et en dignité, ils
doivent être traités humainement lors de leur procès et ne pas être exécutés
sommairement ou torturés. Les hommes ne sont pas égaux entre eux dans nos jugements
moraux que l’on peut porter sur leur comportement, voire dans nos jugements
légaux quand ceux-ci ont commis des crimes contre l’humanité. Pourtant ils sont
égaux en droit et en dignité du fait même de leur nature : qu’un homme soit
bon et se comporte de manière humaine, ou s’engage dans une association
humanitaire, ne lui confère pas plus de droit ou de privilège qu’à un salaud. Cela
ne donne pas à cet homme une noblesse particulière ou un statut d’humain
supérieur. Il reste un humain parmi les autres êtres humains. On honore les
actes des uns et on condamne les crimes des autres, mais le fait qu’ils restent
dans leur Être égaux en droit et en dignité.
[1] David Olivier, « Pour un radicalisme réaliste »,
Cahiers Antispécistes, avril 1999 : http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article137
[3] http://www.fondation-droit-animal.org/documents/Affichette%20DUDA.pdf
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme ici.
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