Je
suis tombé ce matin par la grâce des réseaux sociaux sur
cette page de la télévision suisse RTS qui donnait la parole à
Jacques Baud, spécialiste suisse du renseignement et du terrorisme.
Selon lui, « si l'on arrêtait les bombardements sur la Syrie,
les attentats cesseraient probablement ». Jacques Baud prend
l'exemple de l'attentat à la gare d'Atocha de Madrid en 2004 pour
appuyer ses dire. Quelques jours après les attentats, les élections
avaient balayé les partis de droite au pouvoir, et l'Espagne avait
retiré ses troupes d'Irak. Plus aucun attentat islamiste n'a été
perpétré dans ce pays depuis lors. Jacques Baud fait valoir aussi
que quand Daesh revendique les attentats de Bruxelles, de Paris ainsi
que les autres sur le sol européen, il le fait en donnant comme
cause explicite les bombardements occidentaux. Jacques Baud
rappelle que ceux-ci ont fait entre 2000 et 4000 victimes civiles,
soit plus que les victimes civiles de tous les attentats perpétrés
sur le sol européen (mais moins que la somme totale des victimes du
terrorisme de Daesh si l'on considère les attentats commis au
Moyen-Orient, en Afrique ou Asie, plus de dix mille morts au total).
C'est un fait que les médias et les experts invités à longueur de
journée sur les plateaux de télévision passent généralement sous
silence.
Je
trouve que cela mérite réflexion. On ne peut pas sans cesse voir
uniquement l'aspect des pays européens frappés par un terrorisme
que l'on ne comprend pas et de l'autre ce qui passe en Syrie et en
Irak et qui est complètement occulté par les médias européen avec
cette idée que les bombardements européens frapperaient uniquement
les méchants barbares terroristes, barbus et tout de noir vêtus,
sans toucher le moindre cheveu d'un civil innocent. C'est la vieille
idéologie des « frappes chirurgicales » qui est
constamment remise sur le tapis. On ne peut pas vivre dans le déni
de cette violence-là. Pour autant, est-il vraiment judicieux pour
les pays occidentaux de cesser de combattre l'idéologie haineuse de
Daesh ? Peut-on vraiment arrêter les jihadistes avec des
fleurs ?
Avant
de répondre, je me dois de préciser que je parle à partir d'un
point de vue philosophique imprégné de bouddhisme et de sa
philosophie de non-violence (ahimsa). La colère et la haine
sont des émotions et des sentiments à proscrire car ils conduisent
tout droit à la violence et la destruction, et donc à une énorme
masse de souffrance dans ce monde. Le Bouddha appelait constamment à
apaiser les sentiments belliqueux en nous, car cela conduit à la
guerre, et la guerre est un gâchis gigantesque pour l'humanité qui
n'amène que misères et désolations. Le Bouddha a rappelé à de
nombreuses reprises que la guerre était un moyen inefficace et
dangereux de régler nos problèmes. Elle engendre le ressentiment
chez les vaincus qui attendent la moindre occasion pour se venger. Et
ces actes de guerre engendrent d'autres actes de guerre et de
violence en retour. Tout cela amène un cycle de violence qui n'en
finit jamais. Il faut donc bien voir la guerre comme une calamité.
Néanmoins,
le bouddhisme a une approche conséquentialiste de la morale,
c'est-à-dire qu'il faut anticiper la conséquence que vont produire
nos principes moraux, et si c'est ces conséquences ne sont pas
bonnes, il faut pouvoir relativiser ce principe morale. Exemple de
cette tendance, une petite histoire tirée des jātakas,
les vies antérieures du Bouddha. Le bodhisattva se trouvait alors
sur un bateau où sévissaient ce qu'aujourd'hui on appellerait un
« tueur en série ». Celui-ci avait la ferme intention de
massacrer tous les passagers du bateau. Le bodhisattva prit alors la
décision contraire aux principes moraux de la non-violence de tuer
cet individu dangereux. En le tuant, il l'empêchait de tuer beaucoup
plus de gens. Il empêchait ainsi une plus grande violence que celle
qu'il avait commise. Tuer cet homme violent n'était pas quelque
chose de bien, la violence est toujours une mauvaise chose, mais il
se trouve que certaines circonstances nous obligent à envisager le
passage à la violence.
Or
face à Daesh, n'est-on pas dans ce cas de figure ? On est là
en face de gens extrêmement violent prêt à semer la terreur, pas
seulement en Europe, mais aussi et surtout en Irak, en Syrie, en
Turquie, en Libye. Pour ces gens, le viol et la mise en esclavage des
femmes non-musulmanes est parfaitement justifié, y compris pour les
jeunes filles. Tous ceux qui pensent en-dehors du cadre établi du
dogme salafiste méritent d'être mis en mort, fusillés, décapités,
crucifiés, brûlés... Jacques Baud rappelle que les frappes
occidentales ont fait entre 2000 et 4000 morts civiles. Certes, mais
il faut remettre cette donnée dans le contexte de la guerre civile
qui fait rage en Syrie. Le conflit a fait de 260 000 à 470 000
morts d'après les estimations de diverses ONG et de l'ONU. Certes,
ces morts doivent aussi être imputés aux exactions de Bashar
El-Assad et de l'armée Syrienne Libre. Mais les combattants de Daesh
ne font aucun cadeau et se distinguent par leur cruauté dans une
guerre déjà extrêmement cruelle. Cesser de combattre Daesh
reviendrait à leur laisser le champ libre. Que se passerait-il
alors ? Daesh l'emporerait sur les kurdes du JPG, le reste des
rebelles de l'ASL et les forces loyales à Bashar El-Assad. Il
marquerait son emprise sur un large territoire à cheval sur la Syrie
et l'Irak. Mais surtout ce territoire servirait de base arrière pour
toutes sortes de mouvances islamiques extrémistes comme les
jihadistes de Boko Haram ou ceux qui conduisent la Libye dans le
chaos. Partout de nouvelles factions jihadistes pourraient essaimer
dans le monde et semer encore plus la destruction. Est-ce vraiment ce
qu'on a envie ?
Il
me semble que l'on n'a pas vraiment le choix. Avant la seconde guerre
mondiale, alors que les nationaux-socialistes d'Adolph Hitler
réarmaient l'Allemagne, beaucoup de gens traumatisés par la
première guerre mondiale militaient fermement pour le pacifisme.
Pour eux, la première guerre mondiale était la « der des
der », la dernière des dernière. Ils ne voulaient pas d'une
nouvelle guerre même s'ils n'avaient que du dégoût devant le
régime nazi. En soi, être pacifiste est une bonne chose. Mais là
pour le coup, les conséquences de ne pas réarmer contre Hitler ont
été désastreuses. Cela a permis à Hitler d'envahir aisément
l'Europe entière, de construire des camps d'extermination en toute
tranquillité et de perpétrer tous les crimes contre l'humanité que
nous savons.
Il
me semble donc que combattre Daesh est une nécessité. Il faut
néanmoins se poser la question de comment on peut le combattre le
plus efficacement possible. Et c'est ce que ne font pas les nations
impliquées dans la conflit. Les Américains ont déserté le
terrain, alors qu'ils sont en grande partie responsable de
l'émergence de Daesh dans le nord de l'Irak, d'une part en
envahissant l'Irak sous de faux prétextes, en se mettant à dos la
communauté internationale et en étant incapable de gagner une paix
durable dans l'Irak de l'après-Saddam Hussein, d'autre part, en
quittant l'Irak, sans comprendre que le pays n'était pas encore prêt
à affronter ses troubles internes, avec des sunnites qui se
sentaient humiliés par les chiites. Les Russes ne font que soutenir
les troupes de Bashar El-Assad en bombardant les positions de l'Armée
Syrienne Libre, mais jamais Daesh. Les Européens sont plus tracassés
par l'afflux des migrants qui fuient la Syrie que par une réelle
volonté de faire la paix dans la Syrie. Ils se lancent dans des
tractations odieuses avec la Turquie sur ces mêmes migrants. La
Turquie est beaucoup plus préoccupées d'anéantir les Kurdes que
d'affronter Daesh et les jihadistes. Le Qatar et l'Arabie Saoudite
continuent à soutenir à fournir en armes et en argent des factions
salafistes qui parfois combattent Daesh, parfois les soutiennent. Et
tous les pays de la région ainsi que les grandes puissances ont
surtout dans leur viseur les intérêts géostratégiques à court
terme : comment faire passer des pipelines ou des gazoducs ?
Ou comment empêcher de les y faire passer ? Tout cela ne fait
que contribuer au chaos ambiant et cela empêchera de résoudra le
conflit syrien que les nations libres auraient pourtant intérêt à
voir réglé très rapidement...
Les
nations et les gouvernement devraient donc chercher la paix en Syrie
et en Irak à tout prix. Peut-être que cet accord de paix passera
par la nécessité de combattre Daesh avec toutes les ambiguïtés
que cela peut comporter. Je dis et je le répète : la guerre
est une calamité. Mais c'est peut-être un moyen nécessaire pour
venir à bout de cette guerre pour autant qu'il y ait une réelle
volonté des nations à installer durablement la paix. Si d'autres
moyens permettent de faire l'économie de cette guerre, alors faisons
taire les armes immédiatement et entreprenons dans l'instant des
pourparlers de paix.
Comment
faire plier ces nations et ces gouvernements pour qu'elles se mettent
à rechercher activement la paix ? Pour l'instant en effet,
chaque pays défend son champion : les Iraniens, les Russes et
le Hezbollah chiite soutiennent les forces de Bashar El-Assad, les
Européens, les Américains soutiennent l'Armée Syrienne Libre et
les Kurdes, les Turcs soutiennent également l'ASL, mais pas les
Kurdes qu'ils combattent férocement. Peut-être faut-il accepter
maintenant qu'une force ne va pas remporter toute la mise et imposer
son hégémonie sur la Syrie. Il faut que chaque partie fasse des
concessions et abandonne l'idée de prendre toute la Syrie sous sa
coupe. Est-ce que les citoyens du monde peuvent se mobiliser pour
demander cela aux États ? Seront-ils entendus ? C'est
difficile à dire, tant les puissants de ce monde peuvent être
sourds aux appels de la paix...
Au
niveau individuel, en tant que citoyen du monde, on peut déjà
abandonner les réflexes de haine qui opposent violemment une
communauté contre une autre, une religion contre les autres, une
idéologie politique contre les autres. On peut faire l'effort
d'apaiser en soi les pensées de haine et de colère qui nous
traversent régulièrement, parce que la guerre trouve toujours comme
causes l'énergie accumulée de la haine, du ressentiment, de la
colère et de la fureur des citoyens. Quand trop de haine et de
malveillance se manifestent, alors ceux qui appellent à la guerre
commencent à être entendus et à régner sur des factions
belliqueuses qui vont ensanglanter les sociétés humaines. Nous ne
sommes pas grand-chose, certes. Mais même à notre petit niveau
individuel, on peut se détacher des pensées haineuses et cultiver
la bienveillance et la compassion comme remède à ces pulsions
guerrière qui habitent l'humanité. C'est le dalaï-lama :
« Plus de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dansle monde ». Je pense en effet qu'il faut aussi penser à se
changer soi-même, à changer son point de vue et essayer tourner son
esprit vers la paix. Même si cela peut sembler minime par rapport
aux milliards d'humains qui peuplent la Terre, cela n'est pas un
effort vain : on ne sait jamais comment nos pensées et nos
petites actions vont influencer le monde. Comme le papillon qui
ignore les effets du battement de ses ailes...
Kobané en ruine, après l'attaque de Daesh (janvier 2015) Photographie de Yaksin Akgül. |
PS :
une pensée émue aux dizaines de victimes de l'attentat commis ce
vendredi 25 mars 2016 par un kamikaze de Daesh commis dans le village
d'Al-Asriya en Irak (à quarante kilomètres au sud de Bagdad) dans
un stade de football. La détresse est la même qu'elle soit vécue à
Bruxelles ou à Bagdad. Une pensée de compassion pour toutes ces
victimes de la barbarie, dont beaucoup d'adolescents qui assistaient
à la compétition.
Al-Asriya, Irak |
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Oui, il faut arrêter de bombarder Daech et négocier une paix durable.
RépondreSupprimerBien entendu, l'intention de faire la paix est toujours louable ; mais avec Daesh, est-ce si facile ? Avec cette organisation dont l'ambition déclarée est d'installer un « califat mondial », une paix durable est-elle vraiment-elle ? Pour eux, la paix, c'est nous nous soumettions à eux ou que nous soyons détruits en tant qu'infidèle. Il est probable que si on fait la paix avec eux, ce ne serait jamais là qu'une courte trêve où ils en profiteront pour rassembler leurs forces et nous détruire avec encore plus de violence. Quand on voit les massacres que Daesh a commis envers ce qui est à leurs yeux des « infidèles », quand on voit la mise en esclavage sexuel de jeunes femmes et de jeunes filles, on peut supposer qu'il sera difficile de trouver un accord de paix avec eux, qui soit autre chose qu'une sinistre farce....
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