Les mauvaises justifications de l'exploitation animale
1ère
justification
Nous
vivons dans une société où le débat fait rage de savoir quel
traitement nous devons accorder aux animaux. Ceux qui ont l'habitude
de lire ce blog savent qu'en tant que végane, je désapprouve toute
souffrance inutile exercée contre les animaux et contre toute
exploitation cruelle à leur encontre. À partir du moment où l'on
se rend compte que les animaux sont des êtres doués de sensibilité
et de conscience, la seule attitude morale logique est de tout faire
pour minimiser la violence et la cruauté dont les êtres humains
sont capables à leur encontre. Cela implique au niveau individuel,
le véganisme, le fait de ne pas consommer de produits animaux, et au
niveau sociétal, le combat pour le bien-être et contre
l'exploitation cruelle des animaux. Mais on entend toutes sortes de
justifications qui minimise l'intérêt de ce combat en faveur des
animaux ou qui justifie carrément que l'humanité exploite les
animaux. Ces justifications reviennent de manière cyclique et je
voudrais les traiter une par une. A chaque article, j'essayerai de
démonter les arguments de ces mauvaises excuses du statu quo par
rapport aux animaux.
1ère
justification : il n'y a pas de mal à exploiter les animaux car
nous, les humains, sommes beaucoup plus intelligents que les
animaux.
3ème justification : les plantes ont une conscience ; donc en manger est mal au même titre que manger des animaux.
4ème justification : il est prioritaire de s'occuper d'abord des problèmes de l'humanité avant de s'occuper des souffrances des animaux.
« Il
n'y a pas de mal à exploiter les animaux car nous, les humains,
sommes beaucoup plus intelligents que les animaux »
Les
êtres humains ont certes des capacités cérébrales beaucoup plus
poussées que les animaux. Les hommes ont inventé toutes sortes de
technologies, ont développé les arts, la pensée, la philosophie.
Ils ont bâti des civilisations incroyablement complexe fondée sur
des principes de droit et de lois. Les hommes ont consciemment exercé
une emprise sur la Nature et l'environnement qu'aucune espèce
n'aurait même imaginé avoir. Avec leurs machines, leur armes, les
humains imposent leur règne de terreur à tous les autres animaux de
la surface du globe. Mais cette intelligence et ce pouvoir est-il une
justification morale pour exploiter tyranniquement les autres
animaux ? En fait, non. Ce n'est pas parce qu'on est intelligent
qu'on a le droit de martyriser les êtres sensibles. Sinon un prix
Nobel de physique pourrait cravacher les étudiants nuls en math et
en physique. On pourrait marquer au fer rouge les handicapés mentaux
du fait de leur manque d'intelligence.
L'intelligence
ne peut pas être un critère moral qui justifierait des traitements
cruels à l'égard des êtres conscients qui disposeraient de moins
d'intelligence. L'intelligence est un critère valable pour engager
un professeur de physique ou de philosophie, mais l'intelligence en
soi ne confère aucun droit moral. C'est un privilège que la Nature,
la culture ou l'éducation nous ont donné. Mais ce privilège ne
peut pas être invoqué comme droit moral ou politique d'inférer
dans la vie d'autres êtres sensibles à leurs dépens. Le critère
moral devrait être basé sur la sensibilité : est-ce que je
suscite de la souffrance ou du plaisir aux êtres sensibles autour de
moi ?
Pour
reprendre ce passage extrêmement célèbre de Jérémy Bentham,
penseur utilitariste du XVIIIème et XIXème
siècles : « Le jour viendra où le reste des créatures
du monde animal acquerra ces droits que seule la main de la tyrannie
aura jamais pu lui refuser. Les
Français ont déjà découvert que la noirceur de la peau n'est
nullement une raison pour laquelle un être humain devrait être
abandonné sans recours au caprice d'un tortionnaire. Il est possible
qu’on reconnaisse un jour que le nombre de jambes, la pilosité de
la peau, ou la terminaison de l’os sacrum, sont des raisons
tout aussi insuffisantes d’abandonner un être sensible au
même destin. Quel autre critère devrait tracer la ligne
infranchissable? Est-ce la faculté de raisonner, ou peut-être la
faculté de discourir ? Mais un cheval ou un chien adulte est,
au-delà de toute comparaison, un animal plus raisonnable, mais aussi
plus susceptible de relations sociales, qu’un nourrisson d’un
jour ou d’une semaine, ou même d'un mois. Mais supposons que la
situation ait été différente, qu’en résulterait-il ?
La question n'est pas « peuvent-ils raisonner? », ni « peuvent-ils
parler ? », mais « peuvent-ils souffrir? »1.
On ne
devrait pas estimer notre action morale envers les animaux avec pour mesure leur
intelligence ou leur capacité à développer et parler
un langage articulé, mais bien prendre comme valeur leur capacité à
ressentir les choses, et notamment la capacité à ressentir la
souffrance. On ne devrait pas leur infliger des souffrances inutiles.
On retrouve cette idée dans la pensée bouddhiste quand la reine
Mallikâ prend conscience que nous sommes pour nous-mêmes la
personne la plus importante au monde : « Personne n'est
plus chère pour moi-même que moi-même ». Le Bouddha,
écoutant cette réflexion, explique que ce principe est valable pour
les êtres sensibles : on se considère soi-même comme la
personne la plus chère à soi-même. La conclusion morale à en
tirer est qu'il faut veiller à ne pas heurter, ne pas blesser, ne
pas faire de mal à ces êtres sensibles :
« Même
si l'on traverse le monde entier,
On
ne trouvera point
Quelqu'un
de plus cher que soi-même.
Puisque
chacun est la personne la plus chère pour soi,
Que
personne n'inflige une souffrance à personne »2.
Le
philosophe bouddhiste indien Shântideva insiste sur le fait que nous
sommes tous semblables dans le fait de souffrir, hommes et animaux,
et que cette souffrance nous est très difficilement supportable :
« Je
dois combattre la douleur d'autrui
Parce
qu'elle est douleur comme la mienne.
Je
dois œuvrer au bien des autres
Parce
qu'ils sont comme moi des êtres sensibles »3.
En
outre, le critère de l'intelligence à invoquer à l'encontre des
animaux est un peu arbitraire. Il y a toutes sortes de capacités où
certains animaux excellent bien plus que les êtres humains. Les
chauve-souris peuvent s'orienter dans l'obscurité complète grâce à
leur sonar ; les faucons ont une vue incroyablement plus
perçantes que la nôtre ; le guépard fonce à toute allure,
les chiens peuvent suivre une piste grâce à leur odorat. Si on met
en valeur l'intelligence, c'est parce que nous en sommes dotés et
que cette intelligence nous rend redoutable pour les autres espèces.
Au fond, l'intelligence seule ne peut justifier de nous donner un
statut privilégié par rapport au reste du règne animal. Seule la
puissance technologique que nous confère l'intelligence a pu donner
aux hommes une supériorité militaire, une force de frappe, mais ce
n'est jamais que la supériorité de faire régner la terreur dans le
monde animal, cela n'est pas et ne peut pas être une supériorité
ontologique. Notre suprématie sur le monde animal ne nous confère
aucun droit moral particulier. Ce n'est pas parce que nous avons
asservi le monde animal que c'était bien de le faire.
L'intelligence
implique seulement que l'on ne peut demander la même chose aux
différents animaux. Votre chien ne vous lira pas votre journal ;
les chèvres n'iront pas voter pour de nouveaux élus au parlement ou
au sénat, les vaches ne conduiront pas de voiture ou de tracteur sur
la voie publique ; de la même façon qu'on n'engagera pas de
policiers chargés de flairer la trace d'un détenu qui s'est échappé
de prison, parce que les humains ne sont pas en mesure de faire cela,
tandis que les chiens bien. L'intelligence est donc un bon critère
pour déterminer si on est capable de faire telle ou telle action,
mais pas pour déterminer si on a le droit moral d'occasionner la
souffrance et la mort à un animal qui ne vous a rien fait.
1Bentham, An
Introduction to Principles of Morals and Legislation,
ch.17, sect.1, édité par J. H. Burns et H. L. A. Hart, Athlone
Press, 1970, p. 282-283, note 1. Traduit par Enrique
Utria : Introduction
aux principes de morale et de législation,
Vrin, 2011, p. 324-325.
2Kôsala
Sutta (Soûtra de Kôsala), Udâna, 47.
3Shântideva,
Bodhisattvacharyâvatâra, VIII, 94.
Voir également :
- 2ème justification
- 3ème justification
- 4ème justification
- 5ème justification
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici.
- 2ème justification
- 3ème justification
- 4ème justification
- 5ème justification
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici.
Alex le perroquet |
C'est bien d'entâmer un cycle pour réfuter de manière raisonnée les tentatives de justifications de l'exploitation animale, du carnisme, qui ne sont le plus souvent que des tentatives pour les gens de se dédouaner, de soulager leur conscience et/ou de faire chier tout simplement en s'affirmant.
RépondreSupprimerAu jour le jour, y a tellement de tentatives de justification de la part de personnes variées, proches ou moins proches, dès qu'il est question de végétalisme, d'animalisme... cela demande une grande patience, une grande motivation (une grande empathie aussi) pour expliquer aussi intelligemment et intelligiblement que possible, encore et encore, les mêmes choses. Y a des moments où on (je) a assez d'énergie et d'autres où on (je) trouve pas l'énergie. J'ai eu droit cette semaine à pas mal de remarques carnistes que j'ai à peine pris la peine de réfuter (je n'ai pu faire que le minimum) et ça m'a miné. Par moments, souvent en fait, ce monde m'est insupportable, la conscience de la souffrance des êtres m'est insupportable.
Je déprime.