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dimanche 9 juin 2019

Est-on foutu ?




Est-on foutu ?



Cette semaine, je suis tombé, via les réseaux sociaux, sur une interview de l'ancien parlementaire Yves Cochet qui nous explique tranquillement que l'humanité va disparaître en 2050 des suites de l'effondrement biologiques. Cela me rappelle qu'il y a un mois et demi, dans une des écoles où je travaille, un géographe était venu faire une conférence sur le réchauffement climatique. Son message était qu'on allait droit vers la catastrophe. J'avais l'impression qu'il se croyait très provocateur. Mais le problème est qu'il ne l'était absolument pas : il se contentait d'énoncer une idée que les jeunes partagent depuis longtemps.


De manière générale, quand je pose la à mes élèves: « Est-ce qu'on va vers l'effondrement ? Ou l'humanité va-t-elle trouver les ressources morales, scientifiques ou technologiques pour y échapper ? ». La réponse est en très grande majorité : oui, la société va vers l'effondrement, et non, on n'y échappera pas. Il y a quelques années, je parlais d'écologie à des jeunes de douze ans à peu près, et ils m'ont répondu très agressivement que cela ne servait à rien de parler d'écologie et de défense de l'environnement puisqu'on est de toute façon foutu !


Je pense donc que le catastrophisme ambiant, loin de susciter un électrochoc salutaire dans la conscience des citoyens et des jeunes, est le meilleur moyen de neutraliser tout changement de cap de la société vers une transition écologique. On me rétorquera certainement toutes ces manifestations de jeunes pour le climat ces derniers temps. Mais je constate que l'enthousiasme ne s'est pas propagé au point que les jeunes se soient investis en masse dans des actions concrètes en faveur de la Nature. En fait, l'enthousiasme était, me semble-t-il, surtout du à la perspective joyeuse d'échapper à quelques ennuyeuses journées de cours... Je pense que la catastrophisme mine les forces naissantes en les plongeant dans l'aquoibonisme ambiant. Il y a quelques années, le philosophe Jean-Pierre Dupuy, pour parer à ces effets regrettables du catastrophisme, prônait un « catastrophisme éclairé ». Pour lui, il faut avoir la conscience aiguë que la catastrophe est inévitable, mais que la raison ne doit pas pour autant abdiquer devant la peur, l'angoisse ou la terreur que peut susciter l'imminence de cette catastrophe. Mais force est de constater que le catastrophisme éclairé n'a jusqu'à présent pas éclairé grand-monde...



En fait, si les jeunes et les moins jeunes adhèrent si facilement au récit catastrophiste, c'est simplement du à des prédispositions de notre culture judéo-chrétienne : la fin du monde est une angoisse fondamentale dans la religion chrétienne. Pendant l'Antiquité et le Moyen-Âge, la croyance était très forte que l'apocalypse viendrait vers l'an mil, même si beaucoup d'érudits de l'époque contestaient ce catastrophisme apocalyptique et y voyaient des prophéties qui relevaient plus du délire et de la superstition qu'autre chose. Au XIXème siècle, le millénarisme a connu un regain aux États-Unis avec les mouvances évangélistes ou les témoins de Jéhovah. On a en tête ces hommes-sandwich qui se promenaient dans les rues des cités américaines avec sur leur pancarte : « The end is near » ou « The end is nigh » (La fin est proche)...















Malheureusement, beaucoup d'écologistes depuis une cinquantaine d'années ont repris ce schéma anxyogène de la fin proche : apocalypse nucléaire, mutations chaotiques, nouvel âge glaciaire ou réchauffement climatique infernal... Le succès de leur discours doit ce qu'il réveille cette angoisse métaphysique de fin d'un monde tout en se donnant des airs sérieux de science et d'esprit rationnel.


Alors soyons clairs : il est très clair à mes yeux qu'il y a un réchauffement climatique. Et pas seulement un réchauffement climatique, mais aussi un effondrement de la biodiversité, une pollution chimique et radioactive, une destruction des milieux naturels, un épuisement des ressources naturelles : pétrole, métaux, sable... La situation est très sombre, et l'heure est grave. Cependant, personne ne connaît l'avenir. Il est toujours incertain. Tous ceux qui se sont essayés ces derniers années au petit jeu de faire des prophéties sur le futur se sont plantés : que ce soient les adeptes de l'effondrement qui promettent les dix plaies d’Égypte modernisées à l'ensemble de la planète, ou au contraire, les optimistes béats qui se font l'oracle d'un futur où la technologie viendrait résoudre tous nos problèmes. Entre la catastrophe finale et le nouvel âge d'or, la probabilité va vers un avenir où notre situation risque de se détériorer très nettement. On vivra sur une Terre moins belle, moins agréable à vivre, plus grise, plus terne, plus triste, avec moins diversité du vivant, moins de couleurs chatoyantes. Nos enfants auront plus de cancer, plus de problèmes, moins de bonheur. Mais cette humanité ne disparaîtra pas. Elle sera certainement contrainte à des mesures drastiques et déplaisantes comme le contrôle des naissances et les rationnements, mais elle ne disparaîtra pas.


Il faut se battre non pas contre une catastrophe finale qui n'arrivera pas, mais contre la détérioration réelle de nos conditions de vie. La catastrophe nous rend fataliste, spectateur passif de notre déchéance ; et elle attise nos comportements irrationnels de fuite ou de déni. La question de notre qualité de vie nous rend par contre responsable. Contre cette érosion de la qualité de notre cadre de vie, on devrait avoir l'obsession de chercher et de trouver des solutions rationnelles. Ces solutions sont diverses : il n'y a pas juste une méthode pour retrouver le chemin d'une meilleure harmonie avec la Nature vivante. Il y a une éthique au jour le jour à avoir : consommer moins, voyager moins, se chauffer moins, adopter une alimentation moins gourmande en ressources et en énergie, plus respectueuse du monde vivant. C'est la piste de la simplicité volontaire. Tout cela accompagné d'une éthique de la conséquence de nos gestes : quand on voit tout ce qu'on jette dans les égouts et qui va à la mer : cigarettes, plastiques, etc...


Il y a aussi toutes sortes de comportements plus verts qui, petit à petit, deviennent des habitudes, mais trop lentement et trop imparfaitement. Je pense, par exemple, au tri des déchets qui est encore beaucoup trop timoré. Il devrait y avoir plus de poubelles qu'aujourd'hui : déchets organiques végétaux, déchets organiques animaux, objets technologiques. La récupération et la réparation devrait être une habitude beaucoup plus ancrée. De même que le compostage qui devrait être appris à l'école. Qu'on apprenne ainsi que dans la Nature, rien ne se jette, mais tout se transforme. Et à quel point les vers de terre sont d'une importance vitale pour nous.


Il y a évidemment tout ce qui relève des technologies moins polluantes ou émettrices de gaz à effet de serre : énergies renouvelables, produits moins vorace en électricité ou en carburant... Les technologies de captation du CO2 peuvent être elle aussi un espoir à défaut de réduire la cadence des émissions de gaz à effet. On peut penser à l'amélioration des techniques de recyclage ainsi qu'à des produits qui pourraient être entièrement recyclé au lieu du gâchis invraisemblable qui a cours dans nos sociétés de consommation avec ses montagnes de déchets technologiques envoyés en Afrique ou en Asie. On pourrait se dire que si on n'est pas ingénieur et qu'on ne travaille pas dans le développement et recherche, on n'a pas un grand rôle à jouer là-dedans, juste attendre les nouvelles innovations technologiques qui va dans le sens de la planète. Mais je me dis qu'on peut s'intéresser à ces sujets, développer notre compréhension scientifique du monde et notre curiosité envers ces sujets afin de créer un bain de culture où les idées pourront fleurir et émerger plus facilement. Plus il y a des gens à s'intéresser à ces questions scientifiques et technologiques, plus vite il y aura des découvertes et des avancées fondamentales.


Enfin, il y a la dimension politique. Quels choix de société va-t-on faire ? Va-t-on lutter efficacement contre la déforestation ? Va-t-on réduire les émissions de carbone ? Comment inciter les industries et les gens à avoir un meilleur impact sur l'environnement ? Là encore, on pourrait se dire que cela dépend des politiciens, et pas de nous. Mais on peut faire l'effort d'essayer de comprendre les enjeux et les luttes en faveur de l'environnement. Ce ne sont pas toujours des questions simples. Il faut souvent se frotter à une énorme complexité. Je pense par exemple au nucléaire qui est une menace sur nos vies à tout moment si un accident se produit comme à Tchernobyl ou Fukushima, mais qui est un cauchemar à long terme pour des milliers de générations futures puisqu'il faut gérer des déchets excessivement dangereux sur des centaines de milliers d'années. Mais si on supprime les centrales nucléaires, par quoi va-t-on remplacer cette source abondante d'électricité ? Par l'éolien. Il faut savoir qu'il faut 3000 grandes éoliennes pour produire la même quantité d'électricité qu'une centrale, si il y a du vent... Par des centrales au charbon comme en Allemagne ? Bonjour, les émissions de gaz à effet de serre...


En-dehors de cette complexité, il faut aussi endurer des résistances énormes des lobbys pétroliers, nucléaires ou chimiques qui freinent toute avancée en matière d'environnement avec le soutien de politiciens climato-sceptiques. Et pour l'instant, l'heure n'est pas à l'optimisme avec Trump aux USA ou Bolsonaro au Brésil qui être prêt à brûler encore les forêts d'Amazonie pour que cela profite à ses industriels et au producteurs de soja... C'est quelque chose de très déprimant et de très démobilisant que cette inertie des pouvoirs publics face à la crise écologique. Face à cela, il y a une dimension de persévérance qu'il est important de développer, surtout par rapport aux jeunes qui manifestent dans les rues, mais pourraient être extrêmement déçus de ne voir aucun changement significatif se dégager dans un avenir proche. Ce combat sera une lutte de longue haleine où parfois on avancera (jamais assez vite), parfois on reculera. Seule la persévérance changera donc les choses.












Alessio Albi - Nature Boy









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1 commentaire:


  1. Bonjour,
    Peut-être ceci pourrait-il vous intéresser.

    https://www.youtube.com/watch?v=kBCDU_PnavQ

    Cordialement

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