Cagnes-sur-Mer
Jacques Prévert
Cagnes-sur-Mer
Soleil de novembre et déjà de décembre et bientôt de janvier
Fête de la Jeunesse et fête de la Paix
Eaux claires de la lune
dansez
sur les galets
Dans les filets du vent
Dans les filets du vent
des
sardines d'argent
valsent
sur l'olivier
et
des filles de Renoir
dans
les vignes du soir
chantent
la vie l'amour
et
le vin de l'espoir
Cagnes-sur-Mer
jolie tour de Babel aimée des étrangers
Pierre blanche sur la carte
des pays traversés et jamais oubliés
Danse danse jeunesse
danse danse pour la Paix
danse danse avec elle
jolie tour de Babel aimée des étrangers
Pierre blanche sur la carte
des pays traversés et jamais oubliés
Danse danse jeunesse
danse danse pour la Paix
danse danse avec elle
sans
jamais l'oublier
Elle est si belle si frêle
et toujours menacée
et toujours vivante et toujours condamnée
Les
plus savants docteurs du monde occis-mental
disent qu'une fois de plus
elle est encore perdue
enfin
qu'elle n'en a plus pour longtemps
et que la der des nerfs lui a tourné les sangs
Et qu'un vaccin
la guerre
pourrait à l'extrême rigueur
la remettre sur pied
et qu'à titre préventif et obligatoirement
tout le monde comme un seul homme avec femme et enfants
disent qu'une fois de plus
elle est encore perdue
enfin
qu'elle n'en a plus pour longtemps
et que la der des nerfs lui a tourné les sangs
Et qu'un vaccin
la guerre
pourrait à l'extrême rigueur
la remettre sur pied
et qu'à titre préventif et obligatoirement
tout le monde comme un seul homme avec femme et enfants
devra
se faire piquer à bout portant
providentiellement
Saisonnière horreur
sacrifices humains sacrifices enfantins
souhaités louanges fêtés
Les bourreaux trouvent toujours des aèdes
et en première ligne des journaux aussi bien qu'aux avant-postes de radio
des
voix livides intrépides et autorisées
donnent
de source sûre
les nouvelles toutes fraîches des tout derniers charniers
les nouvelles toutes fraîches des tout derniers charniers
et
des éleveurs de monuments aux morts
racolent
la clientèle pour l'Europe nouvelle
Allô
allô ne quittez pas l'écoute
restez sur le qui-vive sans demander qui meurt
et ni pourquoi il meurt
Sa mort c'est notre affaire
c'est l'affaire du Pays
au revers de toutes nos médailles son nom
pieusement sera gravé
comme sur les premières timbales
du gentil nouveau-né
Allô allô ne quittez pas l'écoute
et que personne ne bouge
le drapeau dieu blanc rouge
flotte sur le chantier
que l'Europe nouvelle est en train de vous fabriquer
Allô allô laissez-nous travailler en paix
et bientôt l'Afrance et la Lemagne
amies héréditaires sœurs latines ignorées
trop longtemps divisées mais enfin retrouvées
marqueront le pas de l'oie du vaillant coq gaulois
sous l'Arc de Triomphe
du grand Napoléon trop longtemps oublié
et ranimeront le lance-flammes du héros inconnu
pour la grande revanche des retraites de Russie
Et toujours comme par le passé glorieux et non révolu
Épée sur la terre aux hommes de bonne volonté
Et à ceux qui bassement nous accusent
de nous ne savons quel trafic de piastres et de devises
restez sur le qui-vive sans demander qui meurt
et ni pourquoi il meurt
Sa mort c'est notre affaire
c'est l'affaire du Pays
au revers de toutes nos médailles son nom
pieusement sera gravé
comme sur les premières timbales
du gentil nouveau-né
Allô allô ne quittez pas l'écoute
et que personne ne bouge
le drapeau dieu blanc rouge
flotte sur le chantier
que l'Europe nouvelle est en train de vous fabriquer
Allô allô laissez-nous travailler en paix
et bientôt l'Afrance et la Lemagne
amies héréditaires sœurs latines ignorées
trop longtemps divisées mais enfin retrouvées
marqueront le pas de l'oie du vaillant coq gaulois
sous l'Arc de Triomphe
du grand Napoléon trop longtemps oublié
et ranimeront le lance-flammes du héros inconnu
pour la grande revanche des retraites de Russie
Et toujours comme par le passé glorieux et non révolu
Épée sur la terre aux hommes de bonne volonté
Et à ceux qui bassement nous accusent
de nous ne savons quel trafic de piastres et de devises
dans
les contrées lointaines de notre empire français illimité
avec
le clair regard des rares honnêtes gens
nous
répondons très simplement
Voyez nos mains sont pleines
Voyez nos mains sont pleines
preuve
que nous sommes innocents
Danse
jeunesse de Cagnes-sur-Mer
danse jeunesse de tous les pays
et sans en excepter un seul
promise à la tuerie
danse danse avec la paix
On lui tire dans le dos
mais elle a les reins solides
quand tu la tiens dans tes bras
Elle est si belle si fragile si frêle
elle est aussi très vieille abîmée détraquée
danse jeunesse de tous les pays
et sans en excepter un seul
promise à la tuerie
danse danse avec la paix
On lui tire dans le dos
mais elle a les reins solides
quand tu la tiens dans tes bras
Elle est si belle si fragile si frêle
elle est aussi très vieille abîmée détraquée
Danse jeunesse du grand monde ouvrier
et
si tu ne veux pas la guerre
Répare la paix.
Répare la paix.
Jacques
Prévert, La pluie et le beau temps, 1953
Je trouve ce poème de Prévert superbe et solaire, tant dans l'affirmation de la vie que dans le rejet de la guerre. Le poème commence par un éloge du farniente et de la joie de vivre dans un lieu de villégiature tel que Cagnes-sur-Mer, fréquenté par les artistes, petite ville entre Nice et Antibe au bord de la Méditerranée. Prévert nous dit de Cagnes-sur-Mer : « Cagnes-sur-Mer / jolie tour de Babel aimée des étrangers /Pierre blanche sur la carte /des pays traversés et jamais oubliés ». Pour lui, Cagnes-sur-Mer devait rimer avec la fête, les rencontres, ces moments de griserie et de légèreté lumineuse où le temps semble suspendu dans l'instant, ces moments où le vin danse allègrement avec l'amitié.
Mais
très vite le poème bifurque : « Danse danse jeunesse
/ danse, danse pour la Paix / danse danse avec elle /sans jamais
l'oublier. Elle est si belle si frêle / et toujours menacée /et
toujours vivante et toujours condamnée ». De la joie de
vivre insouciante, on passe à la célébration de la paix, si belle,
si frêle, qu'il convient de toujours protéger car elle est toujours
menacée. Si elle est toujours vivante comme une aspiration profonde
des peuples, mais toujours condamnée par les intentions belliqueuses
des puissants de ce monde. En 1953, on était en plein dans la guerre
froide où le bloc de l'ouest capitaliste regardait l’œil de
Moscou et le bloc de l'Est communiste avec la plus grande des
défiances. À l'époque comme
maintenant, il y a des gens de pouvoir pour condamner la paix et la
menacer.
« Saisonnière
horreur / sacrifices humains sacrifices enfantins / souhaités
louanges fêtés / Les bourreaux trouvent toujours des aèdes / et en
première ligne des journaux aussi bien qu'aux avant-postes de radio
/ des voix livides intrépides et autorisées / donnent de source
sûre / les nouvelles toutes fraîches des tout derniers charniers /
et des éleveurs de monuments aux morts / racolent la clientèle pour
l'Europe nouvelle ». Les faiseurs de guerre voient la
guerre et la paix comme des saisons et des flux et reflux
économiques avant tout. Et il y a toujours des « aèdes »,
vous savez, ces troubadours de l'Antiquité pour chanter encore et
encore la gloire des victoires et l'impact des conflits. Aujourd'hui,
ces « aèdes » des temps modernes officient dans la
presse où ils dénoncent les dangers du camp ennemi pour mieux faire
au peuple, car un peuple apeuré est plus facile à manipuler. Ces
aèdes des temps modernes répandent le concept du clash des
civilisations pour opposer des populations contre d'autres
populations, les peuples à l'intérieur contre les migrants qui
viennent soi-disant les « envahir ». Ces aèdes des temps
modernes chantent le nationalisme ici, le fanatisme religieux
ailleurs, et ils appellent à construire des grands murs pour
protéger la forteresse Europe de la venue des barbares. Hier, les
aèdes chantaient la guerre de Troie qui a ravagé la cité antique
pendant plus de dix ans jusqu'à sa chute finale. Aujourd'hui les
aèdes des journaux appartenant aux grands groupes financiers de ce
monde chantent la guerre en Syrie, en appelant à soutenir l'un ou
l'autre camp, mais surtout à ne pas chercher un accord de paix
durable et pertinent ravagé par cinq ans d'une guerre atroce et
insensée.
Mais
face à eux, il faut continuellement opposer une force pacifique,
constamment essayer de désamorcer les conflits. Comme le dit
Prévert : « danse danse avec la paix / On lui tire
dans le dos / mais elle a les reins solides / quand tu la tiens dans
tes bras / Elle est si belle si fragile si frêle / elle est aussi
très vieille abîmée détraquée ». Et la conclusion que
je trouve très belle : « Danse jeunesse du grand monde
ouvrier / et si tu ne veux pas la guerre, répare la paix ».
Si tu ne veux pas la guerre, répare la paix. Voilà un principe
important à garder en mémoire. Il est de notre responsabilité de
toujours chercher à apaiser les situations conflictuelles et
d'apaiser le ressentiment, que ce soit à grande échelle au niveau
des pays ou à notre petite échelle individuelle. Il faut célébrer
la vie, car la guerre est d'abord une force de mort. Danser vaut
mieux que de se terrer dans une tranchée en attendant l'ennemi.
- Pour toi mon amour
Voir aussi :
Pour moi, la paix est une quelque chose que l'on doit cultiver dans la vie de tous les jours. Et en ce sens cet aphorisme du dalaï-lama m'a toujours parlé : « Plus de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dans le monde ».
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