Quand on pense à la
relation entre végétarisme et bouddhisme, on pense en général au
principe de non-violence ou ahimsa en sanskrit, qui régit
cette philosophie comme d'autres courants de pensée de l'Inde
ancienne. Et de fait, le premier précepte moral dans le bouddhisme
est de ne pas tuer, ne pas prendre inutilement la vie, ne pas blesser
non plus et ne pas créer de souffrances par la violence physique que
l'on pourrait exercer sur autrui. Et « autrui » désigne
autant les personnes humaines que les animaux. Humains et animaux
sont aux yeux du Bouddha des êtres sensibles, des êtres doués de
conscience qui peuvent ressentir et éprouver autant le bien-être
que la souffrance. La frontière nette que l'on a pu tracer dans la
pensée occidentale entre l'homme et l'animal et qui culmine avec
René Descartes qui voyait les animaux comme autant de machines ou
d'automates incapables de penser et de vraiment éprouver la douleur,
cette frontière n'a pas lieu d'être dans le bouddhisme, mais aussi
dans les autres courants majeurs de la spiritualité indienne.
Tous ces courants adhèrent
d'une manière ou d'une autre en la croyance dans la transmigration
ou réincarnation. On peut dans cette vie être un humain et la vie
suivante, renaître en tant que vache, chien, fourmi, aigle ou
dauphin. Inversement, un animal peut renaître en tant qu'être
humain s'il a un bon karma pour cela. Les humains partagent
avec les animaux une conscience et une sensibilité : comme eux,
nous sommes sensibles au plaisir et à la souffrance. Comme eux, nous
cherchons ce qui nous procure du bien-être et nous nous écartons de
ce qui suscite de la douleur. Nous nous distinguons des animaux
seulement par un degré plus élevé de liberté : nous avons
une capacité plus grande de choix et de réflexion qui nous
permettent de poser des actes moraux et de transcender le monde grâce
à la spiritualité. Un chat est fortement enfermé dans sa logique
de carnivore : il aura une propension très forte à chasser les
souris et les mulots. A l'opposé, les hommes ont plus de choix, plus
de liberté : ils peuvent adopter une régime végétarien ou
végane de leur propre chef, par leur propre décision, et pas
seulement par une contrainte extérieure. A philosophie bouddhiste
parle de la « précieuse existence humaine » car
les hommes ont le potentiel de s'éveiller des illusions de
l'existence en dissipant les ténèbres de l'ignorance, de devenir
ainsi des « Bouddhas », des Éveillés. Vous pouvez
parler des heures durant de la philosophie du Bouddha à votre chat
Félix, il sera quand même très difficile à Félix de s'asseoir en
posture de méditation et d'élever sa conscience vers des états
supérieurs !
Cette « précieuse
existence humaine » n'est néanmoins pas un privilège
accordé à l'humanité, mais bien la reconnaissance d'une
potentialité qui existe au cœur de notre condition humaine :
nous avons le potentiel de nous libérer par la réflexion, les choix
moraux et les pratiques spirituelles. Du fait de ce potentiel, nous
avons une responsabilité accrue envers les animaux qui sont des
êtres sensibles, mais qui n'ont pas cette liberté. Il est difficile
de demander à un tigre de refréner son appétit pour les antilopes,
mais on peut demander aux hommes de défendre la vie des animaux et
de s'abstenir de consommer leur chair. Les textes bouddhiques parlent
de « précieuse existence humaine » comme d'un
potentiel à ne pas gâcher : la vie est courte, et il serait
particulièrement dommage de gaspiller ces quelques années de vie
humaine en occupations futiles et frivoles alors que l'on peut
s'éveiller et contribuer au bien des êtres sensibles grâce à une
vie spirituelle. On est donc loin d'une logique qui consisterait à
dire que les hommes sont supérieurs aux animaux, et donc on pourrait
en toute bonne conscience exploiter les animaux, les manger, les
maltraiter, etc... Même si les animaux n'ont pas toutes les
capacités des hommes, ils sont doués de conscience, et à ce titre,
il n'est pas acceptable que l'on exerce une violence injustifiée à
leur égard.
C'est vraiment l'axe de
l'éthique bouddhique. La reine Mallikâ, une disciple du Bouddha, en
vient un jour à la réflexion qu'il n'y a pas de personne plus
importante pour nous-mêmes que nous-mêmes. Elle va en discuter avec
le Bouddha qui ajoute que, pour tous les êtres sensibles, il n'y a
personne qui soit pour soi-même plus important que soi-même.
Comprenant cette tendance à nous chérir nous-mêmes, le Bouddha
explique qu'il faut éviter de blesser ou de tuer les êtres doués
de sensibilité. Nous n'aimons pas souffrir ; et en cela les
autres êtres sensibles sont semblables à nous, il faut donc éviter
de faire souffrir les autres comme nous évitons nous-mêmes la
douleur et les peines. C'est pourquoi le Bouddha condamne la guerre,
les querelles, les rixes, le fait de condamner agressivement les
autres religions, mais aussi les sacrifices rituels d'animaux et la
consommation d'animaux en vue de les manger.
Le Bouddha a d'ailleurs
expliqué au médecin Jīvaka que le
fait de manger de la viande ou du poisson est par quatre fois une
faute morale envers les animaux :
- 1°) par la pensée même de capturer un être vivant doué de sensibilité,
- 2°) du fait que cet être vivant ressent de la terreur et de la souffrance lorsqu’il est capturé ou mené à sa mort,
- 3°) par la pensée même de tuer cet être vivant,
- 4°) du fait que cet être vivant ressent de la terreur et de la souffrance pendant qu’on le tue.
Si on
cultive la compassion ou qu'on l'étend à tous les êtres sensibles,
on ne voudra pas participer à cet amoncellement de souffrances
qu'est la mise à mort des animaux, les maltraitantes à leur égard
et leur commerce. Gagner de l'argent en travaillant comme chasseur ou
comme boucher est d'ailleurs considéré comme un mauvais moyen
d'existence dans le bouddhisme. Le bouddhisme n'oblige pas absolument
les disciples bouddhistes à être végétarien, car la morale prônée
par le Bouddha est plus un encouragement à la bienveillance et à
bien agir qu'un impératif moral à suivre à la lettre. Mais il y a
une invitation très nette à s'abstenir de la viande et de poisson
dans la doctrine bouddhique.
*****
Cependant,
un point des règles de conduite des moines bouddhistes semble
complètement contredire ce principe de compassion à l'égard des
animaux. Et c'est un point qui est souvent mal compris, y compris par
les bouddhistes eux-mêmes. Il faut donc se pencher sur cette règle
dite « des trois puretés » et expliquer le contexte dans
lequel elles ont été édictées.
Dans
la code de conduite des moines à l'époque du Bouddha, le Bouddha et
les moines bouddhistes ne travaillaient pas, ne gagnaient pas de
l'argent afin de subvenir à leurs besoins. Ils vivaient en faisant
l'aumône auprès des villageois et des citadins. Les moines venaient
sur le temps de midi avec leur bols à aumônes, et si le gens le
voulaient, ils pouvaient leur donner à manger, parfois une
nourriture bonne et nourrissante, mais souvent des restes fort
maigres et peu ragoûtant. Le moine devait prendre ce qu'on lui
donnait sans manifester de désir particulier. Il y a là l'intention
spirituelle de vivre dans l'acceptation, le renoncement et l'absence
de désir. Et s'il repartait bredouille dans sa tournée d'aumône,
il devait jeûner toute la journée et attendre patiemment le
lendemain avant de pouvoir quêter à nouveau sa nourriture.
Or
il pouvait arriver que certaines personnes, peu au fait du mode de
vie des moines bouddhistes et des conceptions philosophiques du
Bouddha, donnent de la viande aux moines bouddhistes. Dans ce cas de
figure bien précis, le Bouddha a édicté la règle dite des « trois
puretés » qui s'énonce comme suit. Le moine bouddhiste qui
fait sa tournée d'aumônes doit accepter la nourriture avec de la
viande qu'on lui donne :
- quand le moine n'a pas vu que la viande a été préparée à son intention,
- quand le moine n'a pas entendu que la viande a été préparée à son intention,
- quand le moine ne peut pas savoir, ne peut pas se douter que la viande a été préparée à son intention.
Ces
trois cas sont appelés « puretés » car il n'y a pas de
mal à consommer cette viande. Quand par contre le moine voit, entend
ou sait que la viande a été préparée à son intention, il doit
refuser toute net cette viande. Dans sa logique végétarienne, le
Bouddha ne pouvait accepter qu'on tue délibérément un animal pour
nourrir un moine bouddhiste. Cela aurait été un contresens par
rapport à sa doctrine de compassion et de non-violence à l'égard
des êtres sensibles. Mais si cette viande est le reste d'un repas
préparé pour quelqu'un d'autre, le fait de recevoir et de manger ne
créera pas plus de souffrance supplémentaire pour les animaux
abattus. Si la viande n'était pas consommée par le moine, elle
serait jetée ou donnée aux chiens. Dans la mesure où cette
acceptation de la viande ne crée pas de douleur ou de mort
supplémentaire, il n'y a pas d'impureté morale à la consommer.
Moines recevant l'aumône dans un village |
J'imagine
qu'une idée germera dans la tête des végétariens et des véganes
qui liront ces lignes. Ils objecteront très probablement :
« Mais pourquoi compliquer les principes du végétarisme ? ».
Ne serait-il pas plus simple de refuser toujours la viande et les
poissons plutôt que de suivre cette règle dite « des trois
puretés » ? D'autant qu'à l'époque du Bouddha, le moine
Devadatta avait créé un schisme dans la communauté bouddhique. Ce
dernier voulait des règles de vie plus strictes (bien qu'en cachette
lui-même ne les respectait pas...) ; et il voulait notamment
que les moines respectent un végétarisme strict comme les brahmanes
de l'hindouisme. Devadatta a fini par être exclu de la Sangha, la
communauté bouddhiste.
On ne
peut pas nier le poids de cette objection. Effectivement, cette règle
peut paraître complexe et sujette à interprétation. Elle peut
aussi être détournée de son sens originel pour lui faire dire ce
qu'elle ne veut pas dire. Au Tibet par exemple, les moines et les
laïcs déforment la règle dite « des trois puretés »
pour lui faire dire que si on ne tue pas soi-même la bête ou qu'on
ne voit pas le boucher accomplir la mise à mort, eh bien, il n'y a
pas de mal à manger de la viande ou du poisson. On n'a pas vu, ni
entendu le boucher tuer l'animal et on sait que ce n'est pas
expressément pour nous qu'il a tué la bête puisqu'il ne savait pas
à qui il allait vendre sa viande au marché du coin. En outre, ces
bouddhistes carnistes invoquent sans relâche la figure de Devadatta
pour dire que le Bouddha a clairement condamné les extrémistes
végétariens et qu'on doit arrêter de leur reprocher de manger de
la viande puisque le Bouddha lui-même en mangeait.
Il y
a là une grande hypocrisie. Si on achète de la viande, on sait
qu'on va contribuer à ce qu'une bête soit tuée quelque part dans
le monde, même si on ne connaît pas le boucher ou l'ouvrier de
l'abattoir. On ne peut pas se servir de la règle dite « des
trois puretés » pour se justifier, surtout que les laïcs
choisissent leur nourriture et ne peuvent donc pas suivre les « trois
puretés » qui s'appliquent pas à des moines qui prennent ce
qu'on leur donne et ne choisissent donc pas le contenu de leur
assiette (ou de leur bol en l'occurrence). En ce qui concerne
Devadatta, celui-ci voulait imposer des règles strictes dans un
cadre très conservateur, des règles qui donnent une bonne image,
une image de pureté et d'intransigeance, mais qu'on ne suit pas
réellement selon le principe « vertu publique, vice caché ».
Or le Bouddha ne voulait pas de cela. Le Bouddha voulait des règles
souples qui s'adaptent à chaque situation dans l'esprit de la « Voie
du Milieu » qu'il a promulguée.
Donc
je pense que la règle dite « des trois puretés » doit
être défendue, même si elle peut paraître complexe et qu'elle a
historiquement souvent été mal comprise, voire déformée. La règle
des « trois puretés » dit qu'au fond qu'un comportement
apparemment impur peut être pur si l'esprit est pur, c'est-à-dire
rempli de compassion et de bienveillance et exempt d'intention
malveillante. Le moine qui fait sa tournée d'aumône ne veut pas que
des animaux soient tués pour lui. Pour qui veut bien l'entendre, il
dira sans ambiguïté que manger de la viande est un acte mauvais,
porteur de souffrances pour les animaux. Mais confronté à des gens
qui ignorent le Dharma, il se verra peut-être offrir de la viande.
Si cette viande ne lui est pas destinée, il acceptera cette viande.
Cela lui permet de ne pas rejeter les gens qui ne pensent pas comme
lui. Cela contribue à un esprit de bienveillance et de tolérance
envers eux. Pour autant, il refusera de transiger avec des personnes
qui veulent cuisiner de la viande délibérément pour lui : un
moine bouddhiste ne doit pas participer à l'exploitation et au
massacre des animaux.
Par
ailleurs, le fait d'accepter la viande (en respectant les trois
conditions) comme le fait d'accepter une nourriture qui serait
considérée comme mauvaise et indésirable est une part
non-négligeable de son ascèse. Cela lui permet de développer
l'acceptation et la capacité d'abandonner le jugement sur les
choses. Le moine prend la nourriture qu'on lui donne sans manifester
d'envies ou de désirs : « je voudrais tel ou tel plat, je
voudrais que ma nourriture soit comme ci ou comme cela... ». Il
accepte la production interdépendante, le fait que, dans l'univers,
tout soit régi par une chaîne complexe de causes et de conditions
où tout ce qui se produit se produit en dépendance d'un ensemble de
causes et de conditions. Il n'oppose pas sa volonté, ses désirs ou
ses souhaits à cette chaîne de causes et de conditions. Il
abandonne les étiquettes que l'on peut accoler sur la nourriture
qu'il a à avaler : bon-mauvais, pur-impur, gras-léger,
nourrissant-pauvre, appétissant-dégoûtant... C'est un des
multiples moyens pour le moine de réaliser l'absence de désirs :
ne plus désirer sans cesse telle ou telle chose, mais accepter le
monde tel qu'il est. Or du point de vue bouddhique, l'absence de
désirs mène la cessation de la souffrance et au Nirvâna.
Lisa Kristine - février 2014 |
*****
Il
ressort de cela que les bouddhistes au niveau mondial sont loin
d'être tous végétariens. Beaucoup se camouflent derrière les
arguments que j'ai cités, d'autres sentent bien qu'il y a un
problème et une contradiction à manger de la viande et du poisson
par rapport à l'idéal de compassion du Bouddha. Il y a toutefois un
grand nombre de végétariens dans les pays bouddhistes et on y
trouve facilement des substituts à la viande. Les pays bouddhistes
sont connus pour être « veggie friendly ». Les
moines en Chine et au Vietnam sont en général végétariens, voire
végétaliens. Au Tibet par contre, moines et laïcs sont de grands
mangeurs de viande. Ils invoquent fréquemment les conditions
géographiques très particulières du Pays des Neiges pour expliquer
leur addiction à la viande. Il est vrai que la situation très rude
du pays en altitude fait que les végétaux y poussent difficilement
et qu'il est beaucoup plus difficile là-bas d'être végétarien
qu'en Inde ou en Chine où il est facile de se procurer des
substituts végétaux de la viande comme le tofu, le seitan ou le
tempeh qui sont connus depuis des milliers d'années.
Néanmoins,
la situation évolue à grand pas. Le fait que les conditions
industrielles de l'élevage se développent, y compris dans des pays
en voie de développement comme la Chine ou l'Inde. La souffrance que
l'on inflige aux animaux augmente dans une dimension inédite. Cela
ne peut pas laisser indifférent les bouddhistes. D'autant que la
consommation de la viande crée un déséquilibre au niveau
climatique et écologique, ce qui va engendrer énormément de
souffrance dans le futur. Cela transforme les mentalités et les
discours des moines bouddhistes.
Dans
le bouddhisme tibétain, de plus en plus de lamas exigent que leur
monastère soit strictement végétariens. Le XVIIème
Karmapa, Orgyen Trinle Dorje, un des lamas les plus
importants dans le bouddhisme tibétain a tenu un discours très net
sur le végétarisme en 2007 à Bodhgaya en Inde (Bodhgaya est le
village où le Bouddha a atteint le Nirvâna, c'est donc un lieu de
pèlerinage essentiel pour toutes les traditions bouddhistes). Dans
ce discours, il a expressément demandé que :
- qu'aucune viande ne soit
préparée dans les cuisines des monastères Kagyu (un des quatre
grandes écoles dont le Karmapa est le chef) ;
- que personne, surtout pas
les moines, ne soit impliqué dans l'acte de vendre ou d'acheter de
la viande ;
- qu'on cesse d'employer de
la viande dans les rituels. L'utilisation de la viande dans les
rituels tantriques a clairement été considérée comme
inacceptable par le Karmapa ;
- que l'abattoir de Turphu
qui alimentait un monastère soit fermé.
Karmapa, Orgyen Trinle Dorje |
En outre, certains lamas ou disciples justifient depuis longtemps leur consommation de viande sous prétexte qu'ils font des prières pour libérer les animaux qu'ils mangeaient. Selon le Karmapa, cette pratique ne libère pas les animaux. Ce qui les libère vraiment, c'est de cesser de les manger. Il a d'ailleurs conclu son discours en disant : « Nous ne pouvons aller vers un monde meilleur que si nous arrêtons de tuer les animaux ».
Il a aussi demandé à ses
disciples de prendre une résolution selon ce qu'ils leur semblaient
possibles d'accomplir dans l'immédiat :
- Ne pas manger de viande un jour par semaine.
- Ne pas manger de viande un jour par mois.
- Ne pas manger de viande les jours spéciaux comme les jours de pleine et nouvelle lune, les jours sacrés de Gourou Rimpoché et de Tara.
- Ne manger de la viande qu’à un seul repas par jour. Arrêter de manger de la viande pour toujours.
- Arrêter de manger de la viande pour une période précise comme un, deux ou trois ans.
- Enfin, réduire la consommation de viande avec pour objectif d’arrêter complètement. Ce qui est le mieux et le plus souhaitable évidemment !
Cette prise de position a
suscité beaucoup de remous dans le monde du bouddhisme tibétain.
Mais elle montre que les lignes bougent et que la conscience mondiale
vers un monde plus végane évolue à grand pas.
Plus proche de nous, le moine vietnamien Thich Nhat Hanh qui vit au village des Pruniers, dans le sud de la France défend de longue date une alimentation végétarienne. Il raconte : « l’histoire du couple qui mangea la chair de son enfant – l’histoire racontée par le Bouddha dans le Sutra de la Chair de l’Enfant. Ces parents, avec leur petit enfant, dans leur errance à la recherche d’un asile, devaient traverser un désert. En raison de leur manque de connaissances géographiques, ils vinrent à manquer de nourriture alors qu’ils n’étaient qu’à mi-chemin de la traversée du désert. Ils se rendirent compte qu’ils allaient tous les trois mourir dans le désert, et qu’ils perdaient tout espoir de gagner le pays situé de l’autre côté du désert pour y trouver asile.
Finalement,
ils prirent la décision de tuer leur petit garçon. Chaque jour, ils
mangeaient un petit morceau de sa chair, afin d’avoir assez
d’énergie pour avancer, et ils portaient le reste de la chair de
leur fils sur leurs épaules, afin qu’elle continue de sécher au
soleil. Chaque fois qu’ils avaient fini de manger un morceau de la
chair de leur fils, les parents se regardaient et se demandaient : «
où se trouve notre petit garçon, maintenant ? ». Après avoir
raconté cette histoire tragique, le Bouddha regarda les moines et
demanda : « pensez-vous que ces parents étaient heureux de manger
la chair de leur enfant ? » « Non, Honoré du Monde, les parents
souffraient beaucoup de devoir manger la chair de leur enfant »,
répondirent les moines.
Le
Bouddha enseigna : « chers amis, nous devons pratiquer en mangeant
de façon que nous puissions maintenir la compassion dans nos cœurs.
Nous devons manger en pleine conscience. Sans quoi, nous risquons de
manger la chair de nos propres enfants ».
Dans nos cycles des
existences où nous avons vécu une infinités de vies, tous les
animaux ont été à un moment ou un autre nos enfants. Par ailleurs,
Thich Nhat Hanh insiste grandement sur les conséquences humanitaires
et écologiques de la consommation de la viande : l'épuisement
des ressources qui conduit à des milliers d'enfants à mourir chaque
jour de famine et de malnutrition. En outre, la viande a un impact
absolument colossal sur le réchauffement climatique. Manger de la
viande revient à manger l'avenir de nos propres enfants.
Thich Nhat Hanh |
Enfin,
citons aussi le moine français Matthieu Ricard qui a pris partie
dans le débat sur la réduction de la consommation avec son livre
« Plaidoyer
pour les animaux »
où il défend l'idée qu'il faut étendre l'altruisme aussi aux
animaux : « Ce
livre a pour but de mettre en évidence les raisons et l'impératif
moral d'étendre l'altruisme à tous les êtres sensibles, sans
limitation d'ordre quantitatif ni qualitatif. Nul doute qu'il y a
tant de souffrances parmi les êtres humains de par le monde que l'on
pourrait passer une vie entière à n'en soulager qu'une partie
infime. Toutefois, se préoccuper du sort de quelque 1,6 million
d'autres espèces qui peuplent la planète n'est ni irréaliste, ni
déplacé, car, la plupart du temps, il n'est pas nécessaire de
choisir entre le bien-être des humains et celui des animaux. Nous
vivons dans un monde essentiellement interdépendant, où le sort de
chaque être, quel qu'il soit, est intimement lié à celui des
autres. Il ne s'agit donc pas de ne s'occuper que des
animaux, mais de s'occuper aussi des
animaux ».
S'occuper
aussi des animaux, voilà donc une manière de renouer avec la
préoccupation bouddhiste d'étendre la compassion à tous les êtres
sensibles, et notamment les animaux.
Matthieu Ricard |
Cet article est d'abord paru dans la revue en ligne "Be Veggie" (n°7). La revue est librement téléchargeable à l'adresse suivante : http://www.beveggie.be/beveggie.html
Voir aussi:
- Bouddhisme et végétarisme : voir le texte
Quel est le lien entre le bouddhisme et le végétarisme ? Quels sont les motivations qui poussent un pratiquant bouddhiste à s'abstenir de viande et d'autres produits animaux ? Comment comprendre la règle dite des "trois puretés" qui permet aux moines vivants d'aumônes à manger de la viande dans certaines conditions ? En quoi l'attitude face au végétarisme varie-t-elle entre ces deux doctrines de l'ahimsa que sont le bouddhisme et le jaïnisme ? Quel est le message du Soutra de Jîvaka par rapport à la consommation de la viande ? Comment faut-il interpréter le schisme provoqué par Devadatta ?
Être bouddhiste implique-t-il d’être végétarien ? : voir le texte
Dans son livre « Le bouddhisme, une philosophie du bonheur ? », Philippe Cornu relativise les arguments en faveur du végétarisme et défend la consommation de la viande. Il défend l'utilisation de la viande dans les cérémonies tantriques. L'article est donc une réfutation de ses arguments et la défense du végétarisme et de la bienveillance à l'égard des animaux au sein du Dharma.
Végétarisme & inter-être : voir le texte
Développer sa vision de l'interdépendance de tous les phénomènes nous amène à reconsidérer la production et la consommation de la viande.
"N'abandonnez pas la viande, laissez la viande vous abandonner"
Le Bouddha interrogé par Jîvaka sur la question de savoir si un moine mange ou non de la viande. Non-violence, amour, compassion, joie et équanimité sont la base morale qui guide le moine bouddhiste dans sa relation à la nourriture.
Matthieu Ricard : Un mouton n'est pas un tabouret qui se déplace
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