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mardi 12 avril 2016

Méditation et forces armées



       J'ai récemment posté sur les réseaux sociaux une photo de policiers canadiens en train de pratiquer la méditation. Ce qui est interpellant dans la photo, c'est que ces agents de police méditent sur le coussin de méditation en uniforme, avec leur gilet pare-balles et leur revolver à la ceinture. L'image me semblait intéressante. Après tout, pourquoi des policiers ne pourraient-ils apaiser leur mental, eux qui sont susceptibles de se retrouver avec des situations stressantes, voire dangereuses ? Au fond, cela me semble une bonne idée. Sur la page facebook du Reflet de La Lune, cette photo a interpellé beaucoup de gens et a suscité beaucoup de commentaires. Ces commentaires vont dans tous les sens : certains trouvent ça sympathiques, d'autres trouvent ça drôle ou incongru, certains applaudissent et voudraient pour la police de leur ville. D'autres sont plus réticents, voire font des commentaires du style « mort aux vaches ». Mais globalement l'accueil est positif .





    Néanmoins, un internaute s'est montré très critique, pensant que cela ne devait pas être encouragé. Il a mis un lien en direction d'un article de Michael Stone « Abusing the Buddha: How the U.S. Army and Google co-opt mindfulness » (Tromper le Bouddha : comment l'armée américaine et Google réquisitionne la pleine conscience). La thèse de Michael Stone est que les forces armées et les multinationales détournent la méditation bouddhique ( dont la Pleine Conscience ou Mindfulness n'est jamais qu'un avatar laïc) et la vide de sa substance. La substance de la méditation, c'est clairement la non-violence et la bienveillance à l'égard des êtres sensibles en regard de la théorie du karma pour qui tous les êtres doués de conscience sont inter-reliés. Michael Stone pointe du doigt un organisme tel que Mind Fitness Training Institute, qui se consacre à enseigner la méditation de pleine conscience à des corps de marine, des vétérans, des forces de polices, tout ce qui relève selon Michael Stone de la « violence organisée ».


    Cette organisation se veut caritative. Mais, se demande Michael Stone, pourquoi ne pas venir en aide aux assistants sociaux et aux infirmières qui sont en première ligne de la détresse sociale ? Pourquoi ne pas venir en aide aux victimes de la violence policière ainsi qu'aux victimes d'actions militaires qui auraient bien besoin aussi d'un soutien spirituel et de pouvoir bénéficier des bienfaits de la pleine conscience ?

     Mais les motivations de ce genre d'association posent aussi question. La fondatrice du Mind Fitness Training Institute a ainsi déclaré en parlant de la méditation de pleine conscience : « Ces techniques sont très efficaces pour accroître l'attention situationnelle sur le champ de bataille ». On est très loin d'une motivation bienveillante envers autrui. La méditation est clairement utilisée ici en vue de faire de nous de meilleures combattants, pas de meilleurs humains. Michael Stone ajoute que l'on n'a pas demandé aux Irakiens ou aux Afghans si ces techniques rendaient plus supportables l'occupation de leur pays...

      Il y a là, je pense, un risque effectif de dérive de ce genre de pratiques, si on pense que ce genre de technique peut s'appliquer au mépris d'une motivation bienveillante et altruiste. On ne devrait pas pratiquer la pleine conscience pour faire de meilleurs soldats ou de meilleurs employés. La méditation est là pour apaiser vos tensions, vous permettre de voir plus lucidement en vous-mêmes, de se détacher des émotions perturbatrices comme la colère, l'orgueil ou l'avidité. La méditation ne peut pas être une technique d'endoctrinement et d'embrigadement. Elle est indissociable de l'esprit d’Éveil ou bodhicitta : il faut aspirer au bonheur de tous les êtres, à ce qu'ils soient libérés de la souffrance et qu'ils puissent éveiller leur conscience.

    Néanmoins, je ne partagerai pas le ton très antimilitariste de l'article de Michael Stone. S'il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas de légitimation de la violence, il n'y a pas de raison non plus de critiquer le fait que l'on organise de séances de méditation pour des agents de police ou des militaires. La méditation peut aider à gérer plus pacifiquement des situations conflictuelles et à faire redescendre la pression. Ce n'est certainement pas inutile pour des gens qui sont soumis à des situations stressantes ou des situations d'agression qui peuvent se répéter plusieurs fois durant la même journée ou la même soirée. Quand on est confronté aux côtés sombres de la société tous les jours, il n'est pas inutile de décompresser et de lâcher prise. Cela peut aider les policiers et les militaires. Et après tout, comme tout être humain, ils ont droit à être soulagés de leur stress et à jouir d'une vie sereine. Mais cela peut aussi le reste de la population. Une police moins à cran risque moins de commettre des bavures, des erreurs ou certaines petites vexations qui créent le ressentiment à l'égard des forces de l'ordre au sein de la population.

    Pour conclure, je dirai que le travail sur la motivation profonde de nos actes est importante. En vue de quoi veut-on pratiquer la méditation de pleine conscience ? Si c'est pour faire de vous un guerrier plus efficace, je ne suis pas certain que ce soit une mentalité à encourager. (Je ne suis même pas certain que ce soit efficace à long terme d'ailleurs). Par contre, si notre motivation est de venir en aide aux gens, je ne vois aucune contre-indication pour les agents de police ou les militaires à s'adonner à la méditation !








Oakland, novembre 2011




Voir également :


   On entend beaucoup parler ces temps-ci de méditation dans les entreprises, des bienfaits de la pleine conscience ou mindfulness dans le management. En soi, cela me paraît être une bonne chose : si les entrepreneurs s'enthousiasment pour la méditation et veulent organiser des séances de zazen au milieu de l'open space. Pourquoi pas, en fait ? Néanmoins, quelque chose me laisse sceptique : est-il judicieux de réduire la méditation à une pratique prometteuse en terme d'augmentation de la productivité ? Est-on plus aware des objectifs quantitatifs fixés par l'entreprise quand on s'est livré à une séance de pleine conscience ? Est-ce qu'on est un meilleur employé quand on s'applique sagement à s'asseoir en lotus et à faire le vide dans son entreprise ?


     Pour moi, la paix est une quelque chose que l'on doit cultiver dans la vie de tous les jours. Et en ce sens cet aphorisme du dalaï-lama m'a toujours parlé : « Plus de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dans le monde ».


Pacifique ou pacifiste ?


    Je suis quelqu'un qui recherche la paix et l'apaisement des conflits que ce soit en matière politique ou en matière individuelle. Je ne suis malheureusement pas certain qu'on puisse régler tous les problèmes par la paix et la non-violence. Ce serait merveilleux, mais il y a certains cas où, malheureusement, nous n'avons pas d'autre choix que d'employer la violence. La violence est toujours un mal, mais parfois nous y sommes contraints.




Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.








6 commentaires:

  1. Bonjour et merci pour votre blog.
    Votre réflexion rejoint celle de Brian Victoria
    http://mujoseppo.blogspot.fr/2016/04/brian-victoria-le-zen-en-guerre-1868.html
    Il y a en effet toujours un risque que la méditation soit utilisé de manière malveillante comme un médicament qui peut se transformer en poison.

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  2. Oui, effectivement. Le livre "Le zen en guerre" de Brian Victoria montre les dévoiements du bouddhisme (zen en l'occurrence) quand il a été confronté à une idéologie militariste hérité des samouraïs. La méditation n'est pas là pour endurcir les guerriers ou les rendre plus inflexibles sur le champ de bataille, mais bien pour les rendre plus bienveillants, plus apaisés face à des situations stressantes. Se battre est déjà en soi une défaite. L'idéal serait de résoudre ces conflits de manière complètement non-violente.

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    1. Le livre "le zen en guerre" parle aussi du "zen d'entreprise" pour rendre les employés plus dociles et plus performants.
      Je trouve donc le questionnement légitime mais il n'y a de réponse qu'individuelle.
      Dans le fond je suis d'accord avec toi, je n'ai rien contre la méditation à l'école, chez les policiers et les soldats dans la mesure ou les expériences scientifiques montrent que la méditation a des effets "pro-sociaux" mais il faut rester vigilant et ne pas hésiter à dénoncer les dérives.
      Individuellement la méditation doit être "sans but ni profit" sinon pour tous les êtres inconditionnellement.

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